Les pédophiles sont-ils des monstres ?
Pourquoi est-ce que le mot « pédophilie » fait aussi peur ?
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
Avant tout parce qu’on confond les fantasmes et les actes. Ensuite parce qu’au fond de chacun, dans sa structuration, il y a des zones d’ombres, qui participent des fantasmes. Ces zones d’ombres incluent des fantasmes homosexuels, des fantasmes différents, de tout ordre, dont des éléments tout à fait intégrables et qui se transforment d’ailleurs en tendresse dans les gestes quand ils sont bien élaborés, mais qui sont, à la base, porteurs d’une charge pédophilique. C’est l’étymologie du terme. Je dirais que ça ramène à ça.
Donc ça fait peur parce que ça demande de prendre conscience de tout cela en nous, à sa juste place, dans son juste contrôle et que ce n’est pas forcément un travail que tout le monde veut faire ou une prise de conscience que tout le monde veut faire.
Walter Albardier, médecin psychiatre au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles Ile-de-France (CeRIAVSIF) :
Le message renvoyé selon quoi le pédophile est un monstre, ne va pas aider les enfants à se protéger des gens qui sont autour d’eux. Ils peuvent être leur père, leur voisin, le cousin, l’éducateur sportif, etc., et donc, ils seront d’autant plus rassurés qu’il n’aura pas la tête d’un monstre, évidemment.
Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :
On est toujours dans ces enjeux autour de la petite fille qui commence à être rattrapée par de l’excitation et puis des « monstres », des « grands méchants loups » qui sont autant d’adultes qui sont potentiellement intéressés pour venir abuser de l’enfant. Et donc il s’agit de prévenir l’enfant en disant « attention, le chemin pour aller chez mère-grand est émaillé d’embûches ». Et du coup on est dans ces fantasmes et ces représentations, où le pédophile c’est forcément le grand méchant loup, c’est le grand pervers. Donc forcément, c’est associé à cette idée que le pédophile est un grand pervers dangereux, méchant loup, qui va être un prédateur sexuel et détruire nos enfants.
Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :
La figure du monstre elle s’est beaucoup focalisée sur la figure du pédophile, des infractions à caractère sexuel d’une manière générale mais sur la figure du pédophile, avec cette confusion que quand on est pédophile, on est pédosexuel, c’est-à-dire qu’on passe à l’acte. Et donc de fait, ça culpabilise ces personnes. Il faut se rendre compte que ces personnes, qui éprouvent cette attirance-là, qui sont donc pédophiles, ont les mêmes représentations sociales que nous sur la pédophilie. C’est-à-dire que eux-mêmes se disent : « Mais en fait je suis un monstre ». Eux-mêmes se disent, il y a eu des précédents, sur des personnes qui disaient « Mais moi, je veux qu’on m’euthanasie, rendez-vous compte, je suis quelqu’un de dangereux ». Alors que tous les pédophiles – loin de là – ne passent pas à l’acte, et que ce silence, cette omerta sur cette question-là, elle peut être préjudiciable, précisément parce qu’elle ne permet pas de travailler sur cette attirance, sur les angoisses, sur la souffrance.
Qu’est-ce que ça veut dire travailler ?
Travailler… Mettre au travail au sens psychique du terme.
Latifa Bennari, fondatrice et présidente de l’Association L’Ange Bleu :
Présenter le pédophile comme un monstre c’est destructeur pour lui, parce qu’on peut le fragiliser et le transformer en monstre. Certains pédophiles me disent : « je n’ai aucun problème avec les enfants, mais dès lors qu’il y a un fait divers, que je regarde la télévision ou que je lise les journaux, je commence à trembler lorsque je passe devant des enfants ».
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.