Les femmes pédophiles
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
Il y a un grand tabou social qui se maintient actuellement, qui est l’un des derniers peut-être, qui concerne la pédophilie au féminin, qu’on n’envisage pas, parce qu’il y a d’abord une image d’Épinal de la mère, et que potentiellement c’est en tant que mère que les femmes sont pédophiles. C’est une pédophilie que je dirais « de mainmise » dans les deux sens du terme. Il y a une emprise psychique, corporelle, dans l’enveloppement plutôt que dans la pénétration, donc quelque chose de très complémentaire, et de « main mise » aussi au sens physique, c’est-à-dire des mains ou des bouches qui ne sont pas au bon endroit, furtivement, l’air de rien, et c’est très banalisé dans notre société.
Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :
Il y a des femmes pédophiles, mais c’est très difficile d’en connaître le nombre. Entre celles qui ont des fantasmes, ça c’est quelque-chose que l’on peut apprécier par des enquêtes, encore que les femmes aient du mal à répondre positivement à ce type de questionnaire, donc je pense que c’est sous-évalué. Par contre pour ce qui est de celles qui passent à l’acte, on se rend compte qu’il y a encore une difficulté pour les victimes à reconnaître qu’elles ont été agressées par une femme, et souvent c’est quelque chose qui est moins mal vu socialement, que lorsque l’auteur est un homme.
Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :
Je prends toujours cet exemple d’un petit jeune homme de 13, 14 ans, qui est – comme on dit dans le champ culturel – « initié » par une grande cousine, par une amie de la mère, par une tante, par quelqu’un de son entourage, qui a disons 35, 40 ans. Le champ social va se réjouir de ce petit jeune homme qui bénéficie d’une initiation par une femme dite expérimentée. Si l’on inverse et qu’on met une petite jeune fille de 13, 14 ans, initiée par un homme de 35, 40 ans, tout le monde va crier au pédophile. Donc je crois qu’il y a quand même dans notre culture des choses à faire évoluer pour se dire : qu’on soit homme ou femme, il s’agit d’un enfant de 13, 14, 15 ans même, qui est sous l’emprise d’un adulte, sous la séduction d’un adulte et que ce n’est pas une histoire masculine ou féminine, mais bien une histoire d’enfant dans un rapport avec un adulte, peu importe le sexe de l’adulte et de l’enfant. Je pense que la capacité à dire non et à ne pas apprécier est la même chez un jeune garçon de 15 ans et moins, que chez une jeune fille de 15 ans et moins. Il faut arrêter ce sexisme qui nuit aux jeunes garçons, qui ont évidemment eu des réactions corporelles, qui ont eu des érections, pour dire les choses clairement, et qui du coup ont le sentiment que comme leur corps ont répondu « présent », ils ont été a minima consentants. Je crois qu’il ne faut pas mélanger les hormones et le consentement éclairé.
Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :
On va avoir plus à faire à des actes qu’on dit dans le langage courant type « attouchements », donc des caresses, des masturbations. Mais on n’aura pas forcément cette fameuse pénétration qui est particulièrement intrusive pour l’enfant, même si – il faut être précis – même si des caresses, une masturbation, c’est une intrusion déjà, même si ce n’est pas une intrusion à l’intérieur du corps.
Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :
Moi j’entends des histoires de patients qui racontent des actes de leur mère durant leur enfance ou leur début d’adolescence, qui très clairement relèvent de violences à caractère sexuel, qu’ils n’identifient pas, eux, de cette manière-là. Mais quand ils le réalisent, ils ne s’imaginent pas pouvoir aller porter plainte contre leur mère, alors pour des faits qui peut-être feraient l’objet d’une prescription du fait du temps qui s’est écoulé, mais aussi parce que c’est très compliqué pour un homme de dire que, même s’il était simplement un enfant, il a été victime des abus de sa mère.
Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :
C’est très compliqué pour un enfant d’aller dénoncer sa mère. C’est très compliqué pour un enfant d’aller dénoncer sa tante, sa cousine, sa voisine. C’est très compliqué déjà pour l’enfant de percevoir qu’il a été victime, et en plus de dire « mais mon Dieu, c’est ma propre mère ! » Comme mon propre père, mais encore plus, « ma propre mère, qui m’a fait du mal ».
Donc on est dans ce chiffre noir et du coup dans des barrières, des freins qui sont plus dans le champ social, culturel, de notre communauté et de notre époque.
Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :
Ce qu’on a vu un tout petit peu plus mais ça reste assez récent – j’ai vingt ans de recul, donc je dirais depuis une dizaine d’années, peut-être quinze quand même -, ce sont des mères condamnées pour complicité. C’est-à-dire un père condamné pour des actes de nature incestueuse, et une mère dont il semblait impossible aux yeux de la justice qu’elle ne soit absolument au courant de rien de ce qui se passait sous le toit familial.
Walter Albardier, médecin psychiatre au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles Ile-de-France (CeRIAVSIF) :
L’agresseur-type est un homme. Maintenant, c’est vrai que ce schéma de pensée nous empêche aussi parfois de voir des agressions sexuelles qui pourraient être commises par des femmes, qui existent, mais qui sont souvent, peut-être plus cachées, de par la position aussi, peut-être, de la femme par rapport à l’enfant.
On est quand même dans une société qui, aujourd’hui, accepte plus facilement la promiscuité des corps d’une femme avec un enfant, que la promiscuité des corps d’un homme avec un enfant. Et quand on envoie ses enfants dans une colonie de vacances, on est rassuré de voir que c’est plutôt une femme, qu’un homme, qui va les surveiller dans les dortoirs. C’est quelque chose qui n’existe pas forcément depuis 150 ans, mais c’est tout de même une réalité au quotidien, de par une image, des représentations que l’on a socialement, de l’agresseur sexuel.
Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :
On voit, en expertise, des agressions sexuelles qui ont été commises dans le cadre du maternage. Alors ça peut être soit des nurses, des nounous, des gardiennes d’enfants, des baby-sitters, qui vont profiter de ce moment de vulnérabilité de l’enfant pour s’en servir d’objet sexuel.
Au moment des soins ?
Au moment des soins. Mais on peut voir tous types d’agressions sexuelles. J’en ai rencontré quelques-unes. C’est un peu anecdotique. J’ai vu une femme qui était baby-sitter et qui faisait des strip-teases et se masturbait devant les enfants, elle ne les touchait pas. J’en ai vu par contre une autre qui utilisait des vibromasseurs, des sextoys, pour sodomiser les enfants qu’elle changeait. Donc là on a quelque chose qui est très violent, avec d’ailleurs des séquelles sphinctériennes, des blessures anales importantes. Donc il y a tout type d’actes qui sont faits dans ce cadre-là. Dans le cadre des soins maternels ou des grands-mères, il faut aussi se méfier des fausses allégations. Lorsqu’il y a des procédures de séparation parentale, peut-être parce qu’on est très angoissé quand on se sépare, on a tendance à projeter sur la personne dont on se sépare un tas de vilaines choses, parce que peut-être elle nous a fait du mal, et du coup on a très peur pour nos enfants, on veut les protéger, et on va peut-être interpréter de façon très anxiogène et peut-être un peu abusive, certains propos de l’enfant : « papa bobo là, zizi », des fesses rouges. Du coup, on peut voir en expertise des mères ou des grands-mères qui sont mises en cause pour des faits de nature sexuelle dans ce contexte où il est très difficile de retrouver la réalité de ce qui s’est passé, dans la mesure où les propos de l’enfant ont des fois été déformés, mal interprétés, et puis tellement répétés qu’il est difficile, lorsque les enquêteurs les ont en face d’eux, de pouvoir faire éclairer la vérité. Donc dans ce contexte d’actes sexuels commis lors de soins de maternage, il faut bien mettre de côté certains faits qui sont dans un contexte de séparation parentale, où là il faut être très prudent pour les interpréter.
Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’Association Stop aux Violences Sexuelles :
On se demande finalement quand on a bien la conscience que la violence est la racine de la violence : pourquoi les femmes qui seraient tant sujettes aux violences, elle mêmes n’exprimeraient pas de violence, puisqu’elles l’ont vécu ?
Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :
Les femmes ont leur capacité à être violentes et à abuser de leur pouvoir tout autant que les hommes. On le voit dans des tas de champs professionnelles donc « les femmes sont des humains comme les hommes ». Je ne sais plus qui a dit ça mais je crois que ça marche aussi dans le champ de la pédophilie.
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
De tous temps, le criminel, le super-méchant, c’est l’homme. C’est terrible, parce que ce n’est pas vrai du tout. On est à égalité. Et justement, si les femmes veulent vraiment l’égalité, il faut qu’elles acceptent de lâcher le pouvoir maternel. Qu’elles acceptent de lâcher sur ce plan-là et sur le plan de l’image. Qu’elles acceptent de ne plus être la toute bonne mère, ni la princesse. C’est donnant-donnant.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.