La pédophilie dans l’Histoire (3/3) : le XXIème siècle

On en est où aujourd’hui ?

Anne-Claude Ambroise Rendu, historienne, professeure à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et auteure de « Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles » :

C’est difficile à savoir. On est d’abord dans la « découverte » des crimes de l’église. C’est très curieux de voir à quel point on a peu de mémoire, parce qu’en réalité, à la fin du 19e siècle, il y a déjà beaucoup d’affaires qui mettent en cause des religieux, donc pourquoi est-ce qu’on a l’air de découvrir ceci aujourd’hui ? Cela prouve que l’on manque d’histoire et cela justifie en quelque sorte mon rôle ! Ça tient aussi au fait que, bien entendu, l’église a fait régner au maximum l’omerta sur ces pratiques. Elle a protégé ses desservants autant qu’elle l’a pu et pendant très longtemps, jusqu’à très récemment, et partout dans le monde. Or, partout où des institutions scolaires ou des institutions d’accueil ou des institutions hospitalières étaient entre les mains de l’église, des abus sexuels, des agressions sexuelles, ont été commis, cela me semble évident. Donc que cela sorte aujourd’hui, c’est une bonne chose, que cela sorte sur cette modalité étonnée, comme si on découvrait quelque chose, me paraît plus étrange.

Non pas pour justifier, mais pour expliquer le désir de l’église de protéger ses desservants, une chose est claire, c’est que l’église reconnaît le Droit canon. Elle a du mal à reconnaître la réalité d’un Droit civil, et donc, elle a toujours voulu régler la chose à l’intérieur de son institution. On règle les choses entre soi, ce qui ne veut pas dire qu’on ne sanctionne pas.

Il me semble qu’il y a, à la fois, une espèce de discours un peu banalisé, « un pédophile a été arrêté, un pédophile est condamné… ». Ça fait partie maintenant de l’actualité quotidienne. Je ne suis pas sûre pour autant que ça s’accompagne d’une prise en compte tellement parfaite de la question, à la fois devant les tribunaux et sur le plan médical. Je dirais deux choses. D’une part parce que les victimes elles-mêmes, me semble-t-il, continuent de dire qu’elles ne sont pas toujours entendues, de manière fine, de manière suffisante, elles ne sont pas forcément accompagnées dans leur travail de dénonciation, puis dans leur travail de reconstruction ensuite. Il y a toute une série d’associations qui se sont développées à partir des années 1980, 1990, mais enfin ce n’est pas forcément suffisant. Et puis ce que l’on constate, c’est que depuis la fin des années 1990, le Code pénal s’est enrichi de toute une série de lois nouvelles, qui sanctionnent de plus en plus durement, de plus en plus définitivement, le crime sexuel sur enfant. Je pense notamment à la loi sur la rétention de sûreté, qui est un problème dans le droit français, qui est une loi exorbitante au droit français, dans la mesure où un individu qui a été condamné et qui a fait son temps, se trouve ensuite susceptible d’être placé en rétention – ce qui n’est pas la détention – alors même qu’il a payé sa dette à la société, comme on dit. C’est un vrai problème, c’est une loi qui met en cause les Droits de l’Homme et du Citoyen. C’est une loi qui met en cause la question de la liberté individuelle.
Je dirais qu’aujourd’hui, on est dans ce double registre, à la fois d’une prise en compte insuffisante de la vraie réalité de ces pratiques, et en même temps dans un registre de répression, de contrôle social, qui ne réglera rien, parce que ce n’est pas à coup de lois répressives, d’emprisonnements, que l’on réglera cette question-là. On n’éliminera pas l’homicide, on n’éliminera pas, je le crains, l’agression sexuelle sur enfant. Ce qu’on peut faire, c’est la réduire à un taux beaucoup plus faible, le plus mince possible. Durkheim disait « Il n’y a pas de société sans crime », simplement il y a un taux acceptable. On peut peut-être essayer d’arriver à ce taux acceptable, en prévenant les enfants, en faisant de l’éducation et en apprenant aux enfants que leur corps, c’est leur propriété, et que eux seuls ont le droit de décider ce qu’ils en font. Et que donc, ils ont le droit de dire non aux adultes. Et ça évidemment, c’est très difficile, parce que ça remet en question la hiérarchie, et un principe d’autorité. Si on dit non aux adultes pour cela, on peut dire non aux adultes pour le reste. Donc, on voit bien ce que cela engage de très profond et de très important dans le rapport adulte-enfant.
Une dernière chose, c’est que, alors que l’enfant n’existait pas, ou très peu, en tant que tel, il y a deux siècles, il me semble qu’aujourd’hui il est devenu un peu le dernier lieu du sacré. Il est l’objet d’un investissement, en proportion même d’ailleurs de sa rareté, en quelque sorte. Le contrôle des naissances fait qu’on n’a plus que les enfants que l’on désire. Et alors, on les désire vraiment, et on les investit, et on les sur-investit peut-être, et du coup, on voit bien que n’importe quelle atteinte faite à l’enfant, n’importe quelle offense, est devenue un objet de réprobation. Celui qui s’en prend à l’enfant est un monstre. Le monstre moderne, c’est l’individu qui s’en prend à l’enfant, qu’il soit homme ou femme.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.