Enfants et ados consommateurs de porno
Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :
On sait que la moyenne d’âge pour la consommation des premières images pornographiques est de 12 ans pour les garçons, 13 ans pour les filles. On sait aussi et par voie de conséquence qu’à peu près 57% des enfants, découvrent du matériel pornographique entre 8 et 13 ans. C’est-à-dire pendant la période de latence.
C’est-à-dire que pendant cette période, l’enfant doit imaginer la sexualité des grands mais ne doit pas la voir, il doit pas être exposé directement à ça ?
Et de toute façon, il n’est pas au stade du développement où il est capable de métaboliser ce qu’il est en train de voir.
Métaboliser ?
Métaboliser c’est-à-dire digérer, tout simplement. Donc ça veut dire que les images pornographiques, qui vont être très attractives parce qu’elles sont sidérantes donc elles sont fascinantes, elles ont un fort pouvoir d’excitation, donc du coup, plutôt que de fermer l’écran, on va rester devant l’image. Donc c’est ça en fait qui est problématique. Et bien ces images-là vont être traumatisantes tout simplement parce qu’elles ne correspondent pas au stade de développement qui permet à l’enfant de digérer ces images-là.
Donc la première chose, c’est le traumatisme. Surtout chez les très jeunes enfants.
Deuxième chose, c’est toute la représentation de la sexualité que ça va générer. Alors il y a tout un débat autour des images violentes d’une manière générale et des images télévisées d’une façon générale : est-ce que ça a un impact sur nos comportements ou pas ? Et donc il y a des études qui ont été réalisées.
Est-ce qu’il y a un impact sur la sexualité des jeunes. Est-ce que la pornographie a impacté cette sexualité ? Et on se rend compte que oui. Alors, en moindre mesure. C’est-à-dire que la frayeur qu’on avait, c’est qu’il y ait une reproduction telle quelle de la pornographie avec la violence que ça comporte, parce qu’on est souvent – dans la pornographie classique en tous cas – dans un rapport de force, avec cette idée que quoiqu’il arrive, quelle que soit la proposition, la femme consent. Il y a ça aussi. Dans les films où il y a de la violence, sans parler de pornographie, il y a toujours cette dialectique bien/mal. Et on peut se situer entre les deux, c’est polarisé. Dans la pornographie, quelle que soit la proposition, on est d’accord. Donc on n’est pas sur cette dialectique qui permet de se situer entre bien/mal, donc on voit pas la limite, entre bien/mal. Il y a le fait qu’il y ait un morcellement du corps. C’est-à-dire qu’on ne va voir que des parties. Alors plutôt pas le visage d’ailleurs, mais que des parties très resserrées du corps, ce qui participe à la désubjectivation des personnes. Elles ne sont plus vues comme des personnes, elles sont vues comme des parties de corps. Donc ça suppose que ça ne va pas engendrer de l’empathie chez le spectateur. Savoir si ça lui convient ou si ça ne lui convient pas, ce n’est pas ça qui va être le problème. Et puis c’est très sexiste, c’est-à-dire que c’est sexiste dans les deux sens. Ça va générer des stéréotypes de genre très caricaturaux, avec des femmes passives basées sur leur apparence et puis du coup un corps aussi pédophilisé pour la plupart du temps, c’est-à-dire peu de seins, une épilation totale… etc. Et des hommes ultra-virils, musclés… etc. Et donc tout ça, on se posait la question de savoir si ça n’allait pas générer une influence sur la représentation que les jeunes ont de la sexualité. Et on se rend compte que ça va générer de l’angoisse. Ça c’est vrai. À court terme. C’est-à-dire de l’angoisse sur « Est-ce que je suis normal ? Est-ce que j’ai des organes génitaux normaux ? ». Chez les garçons…
Oui, notamment les garçons…
C’est déjà une question qui est prégnante.
Parce que c’est monstrueux ce que l’on voit sur les images…
Quand ils sont confrontés aux images pornographiques, et ça ne fait qu’enfoncer le clou, si je puis dire. La normalité sur les organes, mais aussi sur la performance.
Et là les filles aussi pour le coup… sur la performance…
Sur les possibilités physiques parfois, mais aussi sur la durée. Les questions qu’on retrouve beaucoup chez les jeunes c’est la durée, avec des problématiques d’adolescent, qui vont dire : « Je crois que je suis éjaculateur précoce » parce qu’ils ne vont pas durer une demi-heure ou une heure ! On est obligé de déconstruire en disant : « Il y a du montage et que, il y a aussi, parfois, une aide médicamenteuse pour l’acteur ».
C’est ça, on peut peut-être en profiter pour expliquer ça. C’est-à-dire que sur un tournage déjà c’est faux. Ça ne se passe pas comme ça, puisqu’il y a une équipe technique autour des caméras et puis ils ont des instructions et ils prennent souvent des médicaments qui bloquent les choses.
Ils prennent des médicaments et ils prennent aussi… Alors il y a aussi tout le rapport au corps, on parlait du modelage du corps, du fait qu’il a quand même une apparence aussi plutôt lissée… etc. On a beaucoup de chirurgie notamment chez les femmes au niveau de la poitrine, on va avoir même des choses – je rentre dans des détails – du blanchiment d’anus. On a du coup des adolescents qui viennent nous voir en disant : « Ma partenaire, j’ai l’impression que c’est sale… etc. » et on est obligé d’expliquer toutes ces choses-là.
Et puis ils sont maquillés. Ces sont des corps qui sont complètement maquillés, éclairés.
Tout à fait. Tous ces dispositifs qui font qu’on n’est pas confronté à la réalité en fait.
Et je rajouterai aussi quelque chose, c’est que dans la relation entre les deux personnes qui sont filmées, il n’y a pas de tendresse, c’est quelque chose de mécanique. Ça se fait sans les mains d’ailleurs, pour que la caméra puisse voir.
En gros plan.
En gros plan. Et dans la réalité, évidement, la sexualité c’est avant tout une tendresse, une complicité…
Une relation en fait. Je parlais tout à l’heure de « désubjectivation » qui est particulièrement, on va dire visuelle, parce qu’on découpe le corps, on n’est plus face à une personne, on est face à un corps. Mais c’est aussi vrai parce qu’aujourd’hui, la pornographie classique, c’est beaucoup ce qu’on appelle du « gonzo ». Le « gonzo », c’est quand on se passe d’une histoire, il n’y a plus besoin de scénario, on passe directement au rapport sexuel.
C’est plus le livreur de pizzas ou le plombier ? Dans les années 70 il y avait ça.
Exactement. Résultat des courses : il n’y a même plus le prétexte de la relation, c’est-à-dire qu’il n’y a plus la relation. Contrairement au film érotique qui d’une part s’intéresse à la relation, et qui contrairement au film pornographique va laisser cet espace pour le fantasme, parce que le film érotique va susciter le désir. C’est la promesse d’une rencontre et dans ce vide-là on va pouvoir être créatif. La pornographie, au contraire, c’est une saturation d’images, une saturation d’excitation qui ne laissent pas la place à la créativité.
Donc sur du court terme, on a ces angoisses-là de performance par rapport au corps, et donc on va se poser toutes ces questions.
Et puis, sur du long terme, sur les représentations plus profondes, on s’est rendu compte que quand même, la sexualité des jeunes était un tout petit peu infléchie par la pornographie, avec des comportements sexuels qui ont fait leur entrée ou qui ont explosé en termes de proportion. Notamment l’éjaculation faciale qui est devenue une pratique très fréquente et qui est issue de la pornographie. On va avoir de plus en plus des personnes qui vont tester des rapports à trois, avec de l’homosexualité au sein du rapport sexuel, qui est influencé par la pornographie. On a beaucoup de rapports bucco-génitaux, qui existaient auparavant mais qui sont en pleine expansion, explosion, avec des jeunes qui n’ont pas le sentiment que ça appartient à la sexualité d’ailleurs, c’est-à-dire qu’on peut faire ce rapport-là sans que ça engendre quelque engagement que ce soit. Il y a une banalisation de ces pratiques-là. Et puis par rapport au corps, des filles qui vont s’épiler intégralement et des garçons qui vont avoir tendance aussi à être dans la sur-virilité, avec des comportements un petit peu caricaturaux aussi, de ce côté-là.
Voilà. Donc, ça a un impact à court, moyen et long terme cette pornographie. Mais il ne faut pas être alarmiste, c’est-à-dire que cette pornographie elle a des impacts extrêmement délétères…
Délétères ?
Délétères c’est-à-dire préjudiciables, quand ce sont les plus jeunes qui sont exposés, qu’il n’y a pas eu d’éducation à l’image, que ça n’a pas pu être parlé, que ça a pas pu être pensé ou alors quand on n’a pas d’autres modèles identificatoires. C’est-à-dire que quand il y a une éducation à la sexualité, quand on peut échanger avec des pairs, c’est-à-dire avec les copains, les copines mais que par ailleurs on a regardé ou qu’on a été confronté à un ou deux films pornographiques, on va pouvoir faire la moyenne j’ai envie de dire. L’un dans l’autre, on va s’y retrouver. Le problème c’est quand on n’a pas d’autres modèles, que les parents sont un peu défaillants, et qu’on consomme beaucoup. Là, il y a plus de difficulté, y compris par rapport à la question de la violence.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.