Abus sexuels des enfants : quelles conséquences ?

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Il peut y avoir objectivement, pour des raisons clairement anatomiques des agressions sexuelles qui sont extrêmement douloureuses et créent des lésions chez les enfants. L’enfant n’est pas équipé pour qu’il y ait des choses qui rentrent dans son corps, dans son vagin ou dans son anus, et ça peut être absolument catastrophique et faire l’objet de chirurgie.

Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :

Dans nos pays occidentaux, il y a très peu de séquelles infectieuses, de maladies sexuellement transmissibles. Il y en a beaucoup plus dans d’autres pays, notamment dans le continent africain.

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Forcément il va y avoir des souvenirs aussi autour de ça : un petit enfant qui est hospitalisé, qui est soigné. Quand on est soumis à des examens gynécologiques quand on est une toute petite fille de trois, quatre, cinq ans, forcément ça laisse des traces psychiques.

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

Au pire, vraiment, dans le cas d’enfants qui ont été vraiment maltraités sur le plan sexuel, on aura des automutilations, on aura des enfants qui vont refuser d’aller à la selle, c’est-à-dire d’être à nouveau traversés sur le plan anal et jusqu’à des gestes chirurgicaux ; faut opérer ces enfants qui ne vont plus aux toilettes. Donc vous vous rendez compte ? Ça va jusque-là.

Sur le plan psychique c’est une catastrophe, puisqu’en fonction aussi du niveau de gravité, l’impact psycho-traumatique, votre corps vole en éclat, avec des phénomènes dissociatifs, des dissociations traumatiques, avec du coup plus d’accès au sexuel, parce qu’à chaque fois qu’il y a une excitation, ça vient réactiver toute la séquence psycho-traumatique de l’agression, donc c’est un pur cauchemar. Et ensuite du coup des troubles graves de la personnalité avec des dysrégulations émotionnelles et affectives, des troubles de l’identité, le besoin de s’anesthésier, du coup des conduites à risques. La répétition : paradoxalement elles vont se mettre à risque, s’habiller très sexy, se faire violer, ou simplement éprouver du plaisir lorsqu’elles se font maltraiter. Avec les répétitions de la violence, garçon ou fille, avec cinq à dix fois plus de suicides, de tentatives de suicide : jeunes adolescents, âge adulte. Avec cinq à dix fois plus aussi de dépressions, troubles de conduite, troubles du comportement, troubles des conduites alimentaires, anorexie. On va faire disparaître tout ce qui peut correspondre à l’apparition des caractères sexuels secondaires et tertiaires, donc on disparaît, on devient des propres fantômes. Enfin c’est juste une catastrophe. Si l’enfant a été effracté, il n’est plus en capacité de devenir un être humain complet, il devient juste un fantôme. C’est une image, mais qui veut bien dire ce qu’elle dit.

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Les agressions sexuelles, comme le dit la loi française, donc qui restent sur l’enveloppe corporelle mais qui viennent toucher des zones génitales ou qui obligent à toucher les zones génitales de l’adulte ou de l’adolescent, en tous cas d’un corps déjà bien formé, vont créer des traces du côté du souvenir. C’est-à-dire que le corps n’a pas été violenté, par contre la trahison est très très haute et c’est cette trahison-là qui va être traumatique si tant est qu’il y ait traumatisme.

Le lien de confiance ?

Le lien de confiance trahi. Le grand cousin, ou le gentil tonton, ou le gentil voisin, ou pour tomber dans des clichés : l’instituteur, l’éducateur, le moniteur de colonie de vacances, monsieur le curé… etc.

Ou le père, le grand-père, ou la grand-mère ?

Ou la grand-mère effectivement, ou la monitrice de colonie de vacances aussi ou l’institutrice… En tous cas tous ces adultes, à qui les autres adultes disent « tu peux lui faire confiance, c’est un adulte comme moi, il est là pour veiller sur toi » vont dévaster la confiance que l’enfant accordait aux adultes. C’est tout son univers qui est atomisé, et ça, ça va être compliqué à reconstruire et ça va être… c’est ça qui en tous cas qui fait trace quand ils sont adultes.

Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’Association Stop aux Violences Sexuelles :

Quand les gens ne sont pas pris en soin, il y a des impacts aussi à long terme, parce que le corps ayant la mémoire de ce qu’il s’est passé, va attirer l’attention en permanence de la personne sur le fait qu’il faut qu’elle répare ces dommages, et le corps -s’il n’est pas entendu avec au début des petits symptômes, et essentiellement des symptômes psychologiques au début- le corps va envoyer des messages de plus en plus forts pour dire « attention, attention, je suis en souffrance, je suis en souffrance », et il va y avoir une escalade de pathologies possible.

Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :

Là où les choses sont plus complexes, c’est si l’agression est répétée, dans un cadre intrafamilial, où c’est l’ensemble de la personnalité de l’enfant qui va être détruit, parce que ce sont des repères aberrants qui vont lui être donnés. Il peut y avoir aussi une culpabilité qui va être intégrée par l’enfant, il peut se demander si ce n’est pas lui qui est à l’origine du fait que sa mère vienne avec lui, ou que son père l’a choisi comme relation extra-conjugale ; cette culpabilité est souvent d’ailleurs exacerbée par le pédophile ou l’auteur de l’agression sexuelle lui-même.

Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’Association Stop aux Violences Sexuelles :

Beaucoup d’enfants victimes sont des enfants qui se sont retrouvés dans des situations d’abandon, c’est souvent un terrain, l’abandon est quelque chose qui est fréquemment retrouvé. Donc l’adulte qui va s’occuper d’eux va être vu comme quelqu’un de bienveillant, même si après la personne va avoir des actes irrespectueux. Mais dans un premier temps, cette personne est ressentie comme attentive et bienveillante, et donc ça va entraîner de la confusion dans les sentiments et dans les sensations.

Il y a de la confusion chez certaines personnes sur le fait par exemple d’avoir une érection-réflexe ou des sécrétions vaginales chez la femme qui sont des réactions mécaniques mais qui sont considérées par les personnes comme : « puisque j’ai eu ces gestes mécaniques, c’est du plaisir ». Donc ça renvoie à cette méconnaissance de ces réactions-réflexes du corps, qui n’ont rien à voir avec le plaisir.

Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :

Lorsque vous avez été victime d’infractions à caractère sexuel, vous aurez du mal dans votre propre intimité. Ce sont des séquelles qui sont peu évaluées par les experts et peu connues des magistrats, entre autres parce que pour les victimes, c’est difficile d’en parler. Parler de ce que l’on a vécu, c’est déjà difficile, en parler devant une cour c’est encore plus difficile, et parler des difficultés que l’on a avec son partenaire, ça c’est un peu la cerise sur le gâteau, c’est souvent quelque chose que les victimes taisent. Donc c’est à nous en tant qu’experts, en tant que soignants, de leur permettre de parler de ce préjudice sexuel.

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

C’est la reconnaissance du statut de victime dans un premier temps qui est indispensable, ne serait-ce que pour que l’enfant lui-même dans sa vie future d’adulte sache ce qui est bien, ce qui est mal… truc tout bête. C’est extrêmement important.

Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :

Est-ce que tous les gens qui sont victimes d’abus sexuels auront des séquelles dans leur vie future ?

Le mot est pas mal choisi : « séquelle ». Séquelle, blessure, cicatrice… Tout dépend de ce qu’ils en feront, parce qu’ils sont responsables de ce qu’ils en feront. En fonction de ce libre-arbitre, ils vont pouvoir décider de se plaindre toute leur vie et d’être très passifs ou d’agir en conséquence, de manière positive en essayant de comprendre, en essayant d’élaborer, en essayant de dépasser. Et là ça peut devenir un enrichissement, ça peut les aider à avoir d’abord une vie satisfaisante, et à en aider d’autres par la suite. Donc c’est très ouvert, c’est très plastique, comme l’être humain.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.