Qu’est-ce qu’un fantasme ?

Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :

Pour la plupart d’entre nous, ce sont des scénarios, comme un scénario de film avec des variantes. Ces scénarios vont avoir une base structurée dans l’enfance, qui sera posée, mais ça va pouvoir se réélaborer, se réaménager sur cette base-là, au cours de toute la vie.

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

Par définition, quand vous commencez à pratiquer vos fantasmes, ce ne sont plus des fantasmes, ça devient des conduites et des comportements sexuels. Le fantasme peut tout à fait rester dans une part imaginaire de votre psyché, de votre fonctionnement psychique, et tant qu’il y reste, et tant qu’il y est bien et qu’il est bien investi, il permet de contribuer à votre équilibre, y compris sexuel.

Est-ce qu’on est responsables de ses fantasmes ?

Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :

Absolument pas. On n’est pas responsable de ses fantasmes, on est responsable de ce qu’on en fait.

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

Les fantasmes ce sont des productions, des constructions, et donc vous y participez, mais un peu malgré vous. C’est lié à vos expériences, c’est lié à tout ce que vous allez pouvoir recevoir en terme de stimulation, en particulier visuelles, olfactives, sensorielles. Donc vous y contribuez, mais dans la part respective de ce que pouvez, d’une manière consciente.
Donc je pense qu’il ne s’agit pas de se culpabiliser sur vos constructions fantasmatiques, mais on a la possibilité malgré tout de les orienter, en particulier quand elles viennent vous rattraper dans vos conduites sexuelles réelles et concrètes.
Donc il y a possibilité malgré tout de pouvoir orienter la production d’excitation, dans le registre fantasmatique, pour pouvoir la réinvestir dans une sexualité réelle et concrète qui soit adaptée et harmonieuse. Donc il y a des thérapies, en particulier cognitives ou comportementales, il y a la sexologie qui permet de travailler tout cet espace entre le fantasme et la sexualité éprouvée, réelle.

Donc vous êtes en train de dire qu’un fantasme n’est pas forcément une fatalité ?

Très clairement, un fantasme n’est pas une fatalité. Très clairement. En plus, un fantasme ça peut être une espèce de jardin secret, qu’on va visiter tranquillement d’un point de vue imaginaire et puis un espace très serein et sympathique. Ce n’est pas forcément un problème un fantasme. Après il peut y avoir des fantasmes qui sont des sources de souffrances, et qui peuvent vous poser problème quand ils sont investis. Mais on peut par différentes manières et différentes techniques, aider à éteindre l’incendie. Si le fantasme est adossé à la libido, c’est-à-dire à l’excitation, on peut, par des médicaments, diminuer le niveau de libido et impacter directement la production de fantasmes. Quand il n’y a plus de libido, il n’y a plus de fantasmes, donc la souffrance diminue. Avec des médicaments, de manière efficace. Après avec des psychothérapies, avec des techniques différentes, on peut travailler le contenu de ces fantasmes, et puis ensuite on peut travailler sur la distance entre le fantasme et la sexualité agie. Donc on a différents niveaux d’intervention, qui permettent soit de retrouver une harmonie avec ses propres fantasmes, soit de pouvoir remanier sa libido, son excitation, et réinvestir, j’allais dire, de nouveaux champs de fantasme, des jardins qui étaient restés barrés. Par exemple lorsqu’enfant, vous avez été victimes d’abus sexuels, vos fantasmes vont s’organiser autour de cette sexualité infantile fixée. Le fait de pouvoir ouvrir d’autres jardins en disant « finalement, je peux avoir une sexualité entre adultes consentants », et bien on va ouvrir de nouveaux espaces fantasmatiques. Et du coup ça va se déplacer et le patient va investir de nouveaux champs, avec une nouvelle production de fantasmes. Alors c’est quand même assez génial l’être humain, c’est qu’on va pouvoir produire comme ça de nouveaux espaces, on va ouvrir de nouveaux jardins, qui vont être investis. Le jardin « fantasme pédophilique » va tomber en jachère, il va être envahi par des ronces et il va être abandonné. Ce n’est pas juste une métaphore, on l’éprouve dans la prise en charge de nos patients : des patients qui découvrent de nouveaux jardins et c’est assez fantastique.

Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :

On peut tous avoir des fantaisies sexuelles originales. On peut rencontrer des sujets qui vont avoir des fantasmes, comme par exemple avoir des relations sexuelles au sommet du mont Blanc ou sur le balcon, ou sur le capot d’une voiture américaine. On est dans une fantaisie qui, si vous la vivez, ne va pas vous exposer à de grands dangers, encore qu’au sommet du mont Blanc, sur le plan cardio-vasculaire, ça peut être problématique ! Lorsque vous avez d’autres types de fantaisies, et les patients nous en rapportent en consultation, comme par exemple des fantasmes zoophiles, des fantasmes sadiques… Certains vont pouvoir être vécus de façon symbolique, dans la relation sexuelle, comme par exemple le fait de pouvoir mettre des petites menottes ou de donner une fessée dans une relation sexuelle. Mais ça, c’est quelque chose de possible si c’est symbolisable… qui peut être, par contre, une agression sexuelle si c’est imposé à l’autre ou si c’est pratiqué sur une personne vulnérable. Donc toutes les fantaisies sexuelles que l’on peut avoir, on peut les vivre de façon symbolique. Elle n’en sont pas moins révélatrices de quelque chose qui peut mal fonctionner en nous.

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Nous avons tous eu envie de tordre le cou au voisin, de tuer celui qui nous fait une queue de poisson en voiture… Donc l’imagination est un espace de liberté absolue qu’on se doit de cultiver. Il serait maladroit de brider les fantasmes. Le fantasme, chez la plupart d’entre nous, permet justement, en massacrant quelqu’un dans notre imagination, de ne pas l’agir.

De ne pas le faire dans la réalité ?

Exactement. De ne pas le faire dans la réalité, de ne pas passer à l’acte, de ne pas le mettre en actes. Donc lâchons-nous dans nos fantasmes, ça ne nuit à personne. Ça peut nous mettre, nous, mal à l’aise, bien sûr, parce qu’on sait que c’est pas bien, on sait qu’on ne devrait pas, on est gêné par ces pensées hostiles qu’on peut éprouver par moment. Néanmoins, tout est permis dans l’imagination, donc ne condamnons personne et ne rejetons personne pour ce qui lui passe à travers la tête, qu’il n’a pas choisi, que peut-être il cultive, mais qu’il n’a pas choisi. C’est-à-dire que ce qui surgit dans notre tête, on ne choisit pas que ça surgisse dans notre tête, ni du moment.

Personne n’est responsable de ses fantasmes ?

Personne n’est responsable de ses fantasmes, des idées qui nous traversent l’esprit. Après, on leur accorde beaucoup de place, ou pas. Mais le fantasme, c’est pas un problème.

Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :

Le jour où vous avez envie, où vous avez le fantasme d’égorger votre belle-mère, vous acceptez d’être porteur de ce fantasme, mais qu’est-ce que vous allez en faire ? C’est là où, ce que nous les psys on appelle le « moi », le « moi éthique », le « moi » qui accepte de poser le oui et le non et de construire une position de compromis entre cette impulsion qui me pousserait à égorger ma belle-mère, et quand même « elle a le droit à la vie et il faut que je me débrouille autrement dans mon conflit avec elle ». Voilà, ça c’est le « moi éthique » qui fonctionne. Alors peut-être qu’on mettra un peu plus de piment dans sa soupe ou de poivre sur son bifteck mais ça c’est pas grave.

Donc les fantasmes ne sont pas interdis par la loi ?

Non.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.