Psys : recevoir les patients pédophiles
Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :
Aujourd’hui, une personne qui souffre d’une attirance sexuelle vers des enfants, en particulier prépubère, devrait être en capacité d’aller consulter un psychologue ou un psychiatre, de préférence compétent dans le domaine. Tous les psys n’ont pas été formés pour accueillir ce genre de plainte et de souffrance, et très souvent il y a un premier phénomène d’angoisse qui, du coup, va fabriquer du rejet. Avec cette idée aussi du côté des psys, parce que les psys sont des êtres humains avec leurs distorsions cognitives et leurs rationalisations. Le premier mouvement consiste à penser du côté du psy : « mon Dieu, c’est un pédophile, il a agressé des enfants, je vais être en difficulté avec la justice puisqu’il faut que je signale les victimes, et c’est un pervers que je ne pourrais pas soigner, puisqu’on ne guérit pas les pervers ». C’est un peu court, mais malheureusement ça reste dans les esprits. Alors du coup, un psy un peu compétent et formé, il a une autre idée. Il est clair sur la question du signalement, c’est-à-dire : « dans quel contexte je vais être obligé, puisque c’est la loi, de signaler ? », et puis il va être très clair aussi sur la question de la prise en charge.
Alors à partir de quel moment est-ce que le thérapeute est tenu d’informer la police ou la justice ?
Dans l’article 226-14 du code pénal, il est précisé dans son premier alinéa :
– qu’on peut signaler auprès de l’autorité, qu’elle soit judiciaire ou administrative, si on a une notion qu’une personne ou qu’un enfant aurait été victime de mauvais traitement et de violence, en particulier sexuels. Donc on peut si on a une notion, donc une information. On n’est pas obligé, on peut. Donc on peut être libéré du secret professionnel, du secret médical si on a l’information qu’un enfant aurait été victime. Donc si la personne qui souffre de pédophilie vient et vous dit : « mon neveu aurait été victime de mon grand-père », si vous voulez vous pouvez faire un courrier. Un peu compliqué.
– deuxième alinéa de l’article 226-14 du code pénal : si vous avez dûment constaté, si vous avez constaté qu’un enfant ou une personne vulnérable avait été victime d’agression sexuelle ou d’agression physique, vous devez, avec l’accord de la victime s’il est majeure et vaccinée, mais si elle est dans l’incapacité de se protéger, vous devez. Mais il faut avoir l’enfant – dûment constaté.
Donc si on a une personne qui vient et qui vous dit « j’ai une attirance sexuelle pour des enfants », c’est compliqué. On n’a pas dûment constaté.
Mais malgré tout, ça vous donne une information ce premier alinéa, sur le fait qu’il y a potentiellement des enfants qui ont été victimes d’agressions sexuelles. Donc vous pouvez.
Il s’agit en son âme et conscience de repérer quel est le niveau de dangerosité de la personne qui est face à vous. Si vous êtes face à une personne qui vous dit que tous les jours elle va violer une gamine à la sortie de l’école, vous devez. Mais c’est du bon sens. Puisque tout citoyen doit aussi prévenir la réalisation d’un crime. Donc vous, en tant que citoyen, si quelqu’un vient vous dire « je vais tuer ma voisine », vous devez le dire. Donc, là, la personne qui vient et qui vous dit « je vais violer une gamine, ce soir », on doit.
La personne qui vient et qui vous dit « j’ai un problème, je suis attirée par les enfants et j’ai tendance à consommer des images pédopornographiques ». On n’est pas dans l’urgence. Il y a un intérêt malgré tout, d’abord à soigner, traiter, mais aussi à faire prendre conscience au sujet qu’il se met en infraction au regard de la loi. Alors deux hypothèses : soit il cesse du coup ses agissements et c’est l’objet du soin, c’est de lui permettre de se soulager et de ne plus avoir besoin de regarder ces images, ou soit – et c’est arrivé – on va, parce que ça va lui servir, l’encourager à aller se signaler. Dans le cas de la procédure judiciaire, ça va permettre aux patients d’avoir vraiment un cadre rigide et fixe pour pouvoir se soigner. Vous savez comme dans le modèle de la toxicomanie : « j’essaie de m’arrêter, mais je n’y arrive pas ». Il y a une sanction qui tombe, avec une obligation très contraignante du côté judiciaire pour pouvoir s’affranchir de certaines conduites.
Donc chaque situation est particulière, mais le 226-14 du code pénal est très clair : on peut, on doit.
Et puis le troisième alinéa ça concerne les armes à feu : s’il y a des gens qui veulent acquérir une arme à feu ou qui ont des armes à feu à la maison, on peut signaler aussi.
Le code pénal est très clair sur la question du signalement et de la dangerosité. Donc à la fois il faut se servir du bon sens, la personne qui vous dit « je vais violer, tuer », il faut signaler, on a une obligation. La personne qui vous dit « je suis en difficulté ça me pose des problèmes », il s’agit de réfléchir et faire du sur-mesure. Est-ce que vous avez dûment constaté ou pas ? Encore une fois. Et puis ensuite de l’accompagner pour l’aider à se soulager et à poser un cadre qui lui permette d’avancer.
Beaucoup de thérapeutes sont prêts à accueillir des pédophiles, aujourd’hui ?
Walter Albardier, médecin psychiatre au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles Ile-de-France (CeRIAVSIF) :
Quand vous demandez aux psychiatres, de façon générale, s’ils souhaitent prendre en charge des pédophiles, peu vont lever la main, peu se sentent capables de le faire, etc., et puis quand vous leur demandez s’ils en ont dans leur clientèle, beaucoup en ont. Donc je crois qu’il faut toujours faire la distinction entre tout cela. Les professionnels peuvent se sentir appuyés, aidés, par des centres, des structures comme les CRIAVS, proposés d’être orientés vers d’autres professionnels plus spécialisés, quand c’est nécessaire. Tout psychiatre peut entendre ces difficultés, et éventuellement, renvoyer sur un collègue qui serait plus compétent ou plus spécialisé.
Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :
Il faut des gens formés, compétents, qui n’ont pas le sentiment de parler à des monstres ou à des anormaux, mais bien à des gens qui ont des soucis. Souhaitons que ça se généralise dans le monde entier.
Souhaitons aussi que la plupart des psys en libéral, comme du service public hospitalier, puissent accueillir ces personnes sans juger. Ce n’est pas toujours simple. C’est humain de porter un jugement. Sauf que en l’occurrence, le jugement ou le mouvement de recul que peut ressentir un thérapeute qui n’est pas habitué, va forcément faire fuir celui qui, bien laborieusement, avait fini par pouvoir faire cette démarche. Il ne va pas se sentir accueilli, il va lire et entendre qu’on le prend pour un monstre, et c’est ce qui lui fait le plus peur. Donc le monstre va se terrer dans son antre. Et puis… espérant que ça ne restera que des fantasmes.
Et puis en France je trouve qu’il y a un espèce de clivage autour de ceux qui prennent en charge les auteurs, et ceux qui prennent en charge les victimes. Étant dans le champ des auteurs…
Puisque vous travaillez en prison…
…puisque je travaille en prison. Donc quand j’interviens, le pire est arrivé. Et souvent on me renvoie : « toi qui es du côté des auteurs ». Donc je tiens à dire que je ne cautionne pas ce qu’ils font et que, quand on prend en charge des auteurs de violences sexuelles, on se préoccupe, au moins psychiquement de la victime, et s’occuper des auteurs c’est être extrêmement mobilisé pour les victimes. Peut-être pas d’une manière concrète, c’est-à-dire dans le soin directe aux victimes, mais prendre soin des auteurs c’est se préoccuper des victimes. Donc je m’insurge contre ceux qui traitent les choses « par côté ». Moi je refuse dans la vie de choisir mon camp quand ce n’est pas nécessaire, et là je ne vois pas en quoi c’est nécessaire. Traditionnellement, ma réponse c’est « mes patients sont aussi des victimes ». Et on me dit « mais non, ils sont auteurs ». Et je dis « ils ont bien été victimes de quelque chose, d’un parcours de vie en tous cas, pour en arriver à commettre de telles violences ».
Ce qui n’excuse en rien les violences commises mais ce qui explique ?
Surtout ce qui lève le clivage entre auteurs et victimes, parce que quand on fonctionne comme ça, on fonctionne comme les auteurs, donc pas question.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.