Prison : la solution ?

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Ça peut favoriser la compréhension de l’interdit. Après, la prison c’est aidant quand on n’y reste pas trop longtemps. Et ça, c’est valable quel que soit le type de criminalité. Ce qui fait sens, ce qui peut aider, ce qui peut contribuer à donner du sens, peut, si ça dure beaucoup trop longtemps, finir par avoir un effet pervers. C’est comme toute chose, le bon dosage est opérant et un mauvais dosage est mauvais pour la santé.

Est-ce que ça répare ou est-ce que ça détruit, la prison ?

La prison ça punit. L’objectif d’une condamnation, c’est de punir.

Mais l’objectif humain de la société devrait être aussi d’aider les gens à devenir des meilleures personnes ?

J’en suis absolument convaincue. En tous cas à ressortir dans un état meilleur de celui dans lequel ils sont entrés. Donc la prison, quand je commence à dire c’est une punition, c’est la punition ; comme toute punition, elle peut être on va dire éducative, pédagogique, thérapeutique, ou elle peut être catastrophique et engendrer encore plus de colère et de sentiment d’injustice. En l’occurrence dans le champ de la pédophilie, des violences sexuelles en général, la prison vient vraiment matérialiser l’interdit, le crime, la gravité de l’acte qui a été commis. Ça vient vraiment « plomber le truc » je dirais, au sens plutôt positif.
Et puis en prison, en tous cas à la maison d’arrêt de Nantes dans laquelle je travaille, et en France de manière bien inégale mais néanmoins dans tous les établissements, il y a une offre de soin. Et donc ce qui n’a pas pu se faire dehors, peut se faire dedans. Il n’y a plus rien à perdre. C’est-à-dire que celui qui n’osait pas aller toquer à la porte d’un psy ou raconter à un ami ce qu’il était en train de vivre ou de commettre,là, il y a de l’offre. Il y a à peine a toquer la porte, la porte s’ouvre toute seule je dirais, ce qui en prison est précieux. Et puis, quand même, le système judiciaire, que ce soit le juge d’instruction, le juge des libertés, et dans le post-sentenciel le juge d’application des peines, et les avocats aussi, ou les familles, sont dans des fortes incitations, en disant « bon, ce que te as fait c’est un truc de malade » ou « ça va pas, fais-toi aider, il y a un truc ». Donc ils arrivent dans nos bureaux, ils envoient des petits mots, ils nous arrivent en disant « bon, je viens vous voir parce que mon avocat m’a dit de venir, parce que le juge m’a conseillé de venir », donc pas très sujet de la demande. Après ça va être notre travail à nous. En tant que psychologue du CHU de Nantes, donc hospitalière, qui travaille en milieu carcéral, c’est ça ma mission. C’est d’offrir du soin chez ceux qui ne l’auraient pas, qui ne l’ont pas demandé spontanément, et en prison qui le font comme quelque-chose se normal, de réconfortant. La vie en prison est compliquée, la vie carcérale c’est difficile, d’être privé des siens, pas que de sa liberté, d’être privé de beaucoup de choses qui vont avec la liberté…

Est-ce que quand on est mis en prison suite à une agression sexuelle, qu’on soit condamné ou pas encore, en attente d’une condamnation, enfin d’un jugement, est-ce que la vie sociale, elle est foutue ? Est-ce qu’on perd sa famille, est-ce qu’on perd ses amis, son travail, sa réputation ?

Ça dépend. Chaque histoire est vraiment unique. Certains ont des familles qui restent très soutenantes, des parents restent assez soutenants. Ça dépend de qui a été agressé. Si c’est un enfant de la famille, ça n’engendre pas les mêmes choses que si c’est un enfant hors des limites familiales. Donc il y a des familles présentes, soutenantes, et puis il y a des familles qui disparaissent, il y a des épouses qui restent avec leur conjoint qui pourtant a agressé leur enfant commun, ou pas commun d’ailleurs, parfois. Tous les cas de figure existent. Socialement, certains sont grillés, notamment dans leur exercice professionnel. Tous ceux qui, qu’ils aient commis ou pas d’ailleurs des actes auprès des enfants dont ils sont en charge dans le champ professionnel, seront interdits de côtoyer des mineurs, c’est un peu écrit comme ça, ce n’est pas la formulation exacte mais ce qui les inquiète beaucoup parce qu’ils disent « mais des enfants, il y en a partout ». Donc l’interdiction est de fréquenter des lieux habituellement fréquentés par des mineurs. Si la formulation peut sembler plus précise, il n’empêche que ce n’est pas si clair que ça. À part les écoles, à la piscine il y a des enfants, mais pas que, donc c’est assez compliqué. En tous cas d’exercer des professions en contact avec des mineurs ça c’est clair que c’est définitivement interdit.
Je pense qu’il faut privilégier des modalités de condamnation qui ne passent pas par la prison, qui ne privent pas systématiquement l’auteur – sauf si, évidement, c’est lié à son travail – mais d’avoir des ressources, qu’il continue à travailler pour nourrir la famille, pour dédommager… Privilégions des choix judiciaires, sociaux, qui, en voulant bien faire, ne détruisent pas l’environnement de l’enfant ni lui attirent de l’agressivité des autres, des petits camarades. C’est-à-dire que quand la victime – enfin le plaignant à l’origine – devient la tête de turc, le souffre-douleur, c’est inacceptable. C’est rajouter de la souffrance à la souffrance et après on dit « il a été traumatisé ». Qu’est-ce qui l’a traumatisé ? Est-ce que c’est sa parole ou est-ce que c’est la catastrophe qu’a provoqué non pas sa parole, mais les choix sociaux et les choix judiciaires. Ne mélangeons pas tout.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.