Pornographie : quels risques ?
Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :
Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que la consommation de pornographie de façon intensive éteint le fantasme. Il y a de grands auteurs qui parlent du tombeau de l’imaginaire : la pornographie. Tout simplement parce qu’on est dans une saturation d’image, une saturation d’excitation qui ne permet pas ce vide, ce champ dans lequel l’imaginaire, la créativité des personnes peuvent se mettre en œuvre. Donc les grands consommateurs de pornographie, malheureusement, éteignent leurs fantasmes, et c’est pour ça que parfois on va pouvoir rentrer dans une addiction, parce que, puisque moi-même je ne suis pas capable de générer mes propres fantasmes, et bien je vais rentrer dans une surenchère au niveau de la pornographie, de la visualisation de la pornographie, qui devient indispensable pour que je puisse avoir un imaginaire, pour que je puisse alimenter mes désirs. J’ai besoin, comme d’un disque dur externe pour pouvoir alimenter mes désirs.
Et puis on va retrouver aussi des personnes qui vont avoir une pauvreté de fantasmes, on va le retrouver notamment, et ça c’est intéressant, chez les personnes qui ont peur du passage à l’acte, et qui ont ce sentiment que si ils pensent, ils vont faire. Donc très important là aussi de rassurer ces personnes-là sur une distinction très claire entre le monde intérieur et la mise en acte, et que les deux sont distincts. L’un est autorisé, l’autre pas, mais que on peut enrichir tout son univers imaginaire et fantasmagorique, que pour autant, il n’y aura pas forcément de passage à l’acte en parallèle.
Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :
Le problème de la pornographie actuelle, c’est qu’elle est sur Internet, qu’elle est facile d’accès, que personne ne sait que vous y allez, normalement. Encore que pour la pédopornographie, tout le monde sait que vous y allez. Mais on a l’impression que c’est quelque chose d’anonyme, que c’est gratuit, que c’est libre, et que c’est sans limite. Donc ce côté sans limite est potentiellement addictogène.
En dehors du risque addictogène, la pornographie est quelque chose qui peut être un facilitateur d’une relation sexuelle : un couple peut très bien prendre du plaisir à regarder un film pornographique ou à se lire des passages d’un livre pornographique, c’est quelque chose qui peut alimenter le plaisir de tout un chacun, qui peut alimenter notre fantaisie érotique. Mais je pense qu’on est pas tous armés pour être capables de symboliser ce qu’est la pornographie. Lorsque l’on est usager de pornographie, on doit se poser des questions : « est-ce que je suis capable de ne le vivre que de façon symbolique ? ».
Je donne souvent cet exemple du film pornographique et de l’adolescent. Lorsque vous avez par exemple un jeune garçon ou une jeune fille, qui va voir un film pornographique. Il peut imaginer la réalité de la sexualité, c’est ce qu’il voit, parce qu’il n’a pas les outils pour comprendre que c’est une représentation métaphorique et que, par exemple, lorsque dans un film pornographique, l’éjaculation se fait hors des voies génitales, c’est uniquement pour que l’on puisse visionner l’orgasme. Alors que dans la réalité, la plupart du temps, l’orgasme il peut être intravaginal.
J’ai eu une fois un patient qui était psychotique, donc qui avait de gros troubles de la personnalité, dont l’éducation sexuelle n’avait été faite que par des films pornographiques.Lorsque je l’ai vu quelques années après, avec sa partenaire, il éjaculait toujours sur le ventre de celle-ci, parce que c’était son modèle. Il était incapable d’avoir une éjaculation intravaginale. Donc, le problème de la pornographie : elle peut être dangereuse pour l’addiction, mais aussi parce que c’est un modèle, soit chez les sujets qui ne sont pas capables de voir la symbolique, soit parce que ce sont des adolescents qui vont le prendre comme une image de ce qu’est la réalité des relations sexuelles.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.