Pédopornographie : où est le problème ?

Violaine Chabardes, adjudante-Chef, commandant la Brigade de Prévention de la Délinquance Juvénile (BPDJ) de Lyon, Gendarmerie nationale :

Derrière chaque image, derrière chaque photo, il y a un enfant victime, ça c’est important. Ce ne sont pas juste des images, c’est vraiment un enfant qui est abusé, en tout cas dans son intimité au minimum, et parfois, souvent, dans leur intégrité physique. C’est vraiment un fléau aujourd’hui, on a vraiment pas mal d’adultes qui consultent ces fichiers ou ces images à caractère pédopornographique, on en retrouve beaucoup.

Que l’on soit un adulte ou un adolescent, on n’a pas le droit de regarder des images pédopornographiques ?

On n’a pas le droit de les consulter, on n’a pas le droit de les garder sur son ordinateur, on n’a pas le droit de les échanger.

C’est interdit pour tout le monde ?

C’est interdit pour tout le monde.

Que l’on soit majeur ou mineur ?

Que l’on soit majeur ou mineur.

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

On peut avoir des fantasmes pédophiles. Dès lors qu’on va détenir des images à caractère pédopornographique, on s’inscrit dans un marché qui exploite l’enfant. Et c’est pour ça que c’est tout à fait interdit par la loi. Donc il va falloir explorer ses fantasmes intérieurement, et on ne peut pas les mettre en acte, ne serait-ce que par la visualisation d’images d’enfants en situation de rapport sexuel ou de représentation de l’enfant aussi. Ça c’est important de le savoir. Un dessin animé qui représente un enfant en train d’avoir un rapport sexuel, et bien on ne peut pas plus le droit de le regarder, de le détenir, de le télécharger.

Latifa Bennari, fondatrice et présidente de l’Association L’Ange Bleu :

Il a l’impression qu’il ne fait aucun mal dans la mesure où ce n’est pas lui qui filme, ce n’est pas lui qui abuse de cet enfant, d’autant plus que l’image n’illustre pas, ne montre pas un abus, elle montre un plaisir, puisqu’ils incarnent un rôle qui n’est pas réel.

C’est-à-dire que dans la tête de celui qui regarde, il se laisse croire que l’enfant prend du plaisir.

Bien sûr. Il se leurre lui-même, parce que ça le déculpabilise.

Pourquoi est-ce que ça pose problème de les utiliser pour s’exciter aujourd’hui puisque le mal a déjà été fait ? C’est un argument qu’on trouve sur internet.

Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :

C’est un argument à mon sens totalement fallacieux, et qui permet d’avoir une bonne conscience à peu de frais. On n’arrête aucun mal si on pense comme ça.

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

D’un point de vue logique et rhétorique, là, ça tourne en boucle. Le syllogisme à deux francs six sous : « comme ça a déjà été fait, c’est pas grave puisque c’est déjà fait ». La dimension morale, là, à juste titre, prend sa place. Ce sont des images et des séquences qui vont maintenir un niveau d’excitation, et du coup d’agressivité potentielle, et qui ne sont ensuite que des bombes à retardements. Mais ça c’est comme le « happy slapping », comme toutes les séquences d’internet ultra-violentes. À partir du moment où vous venez exciter des êtres humains, vous provoquez le risque que eux-mêmes s’y engagent. Et après ça fait juste des gens énervés, excités, violents…
Sur internet, il y a un peu tout et n’importe quoi, donc cette assertion de « c’est pas grave, ça a été fait donc du coup on peut s’en servir », c’est juste n’importe quoi. Ça ne justifie rien. C’est juste une rationalisation sur la base de distorsions plus ou moins importantes.

Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :

Est-ce que ces images pédopornographique, elles sont dangereuses ?

Elles sont surtout interdites. Cela me paraît être la première chose à dire : nous n’avons pas le droit, ni vous ni moi ni quiconque, d’utiliser, de produire ou de visionner ce type d’images. En sachant d’ailleurs que la pédopornographie c’est toute image de mineur de moins de 18 ans, donc c’est extrêmement large. Du reste, on peut se poser la question de savoir si certaines photos qui ont été prises dans les années 70 ou 80, qui mettaient en scène des mineurs discrètement voilés ne sont pas pédopornographiques. Mais là loi est comme ça et je pense qu’il faut l’appliquer, donc nous n’avons pas à regarder ce type d’images. La question c’est : « est-ce que c’est dangereux ? » Oui, c’est déjà dangereux légalement. Après, il faut se poser la question, si on utilise ce type d’image : « où sont les victimes ? » Si ce sont des enfants que d’autres ont mis en scène, on pourrait se dire « on ne leur fait pas de mal ». Mais en fait, on alimente un marché de pédophiles, et le simple fait de consulter ces images fait souffrir des enfants quelque part, ou a fait souffrir des enfants. Donc le simple usager d’image pédopornographique est en fait quelqu’un qui fait souffrir des enfants.

Il devient complice de l’agresseur…

Il devient complice et quelque part, il alimente ce marché.

Il crée une demande…

Il crée une demande donc il est quelque part auteur. C’est pour cela que la loi, de façon très pertinente, condamne le simple usager. Parce qu’être usager de ce type d’image, c’est alimenter le crime.

Est-ce qu’il y a un risque d’addiction ?

Le risque d’addiction est inhérent au média. On peut être addictif à Google. Il y a des sujets qui sont addict aux recherches épistémologiques : quand ils vont se lancer dans une recherche sur un mot-clé, ils n’auront pas de limite. On peut être addict à tout ce qui est source de plaisir, addiction comportementale. Et en matière sexuelle, on peut être accro à la relation amoureuse, on peut être accro à la sexualité, accro à la masturbation, accro à la pornographie et accro à la pédopornographie. Mais il n’y a pas plus de risque d’addiction à la pornographie qu’à la pédopornographie. En matière de pédopornographie, le risque est double : il à la fois celui de la dépendance, du craving, le fait de sans cesse renouveler ces images, de se sentir mal, de ne pas pouvoir se passer de cette consultation. Mais en matière de pédopornographie le risque est aussi celui de la sanction pénale, puisque le simple usage est problématique. Si on est dépendant de ce type d’images on va les collectionner. Donc le risque de sanction, il est encore plus important.

Il y a un risque que ces images incitent au passage à l’acte ?

Oui, c’est le problème du passage de la fantaisie au passage à l’acte. C’est-à-dire que lorsqu’on va être usager de ce type d’image, et c’est ce que l’on voit lorsque l’on expertise des sujets qui sont mis en cause pour détention ou usage d’images pédopornographiques. Souvent, ils sont dans le déni, ou du moins dans la négation du fantasme pédophile : « j’ai été voir ces images parce que je voulais voir ce que c’était, et j’ai trouvé ça très choquant ». On peut quand même avoir un doute quand on s’aperçoit qu’ils ont dû consulté plusieurs millions d’images pour trouver cela choquant… Mais la plupart des sujets qui sont usagers d’images pédopornographiques ont quand même des fantaisies pédophiles. On est rarement « par hasard », amateur de ce type d’images. De la même façon qu’on est rarement par hasard amateur d’images zoophiles ou d’images sadiques. C’est vrai que les gens disent, « ça m’excitait sur le plan psychique, je n’avais pas d’érection ». Peut-être qu’ils n’en avaient pas encore, mais s’ils continuent à regarder ce type d’image, ils vont associer la stimulation psychique et la stimulation physique, l’érection pour un homme ou pour une femme la lubrification. Donc ces images sont potentiellement capables de stimuler nos fantaisies pédophiles et de provoquer le passage à l’acte.
D’autres images sont problématiques, notamment celles que l’on va échanger avec les internautes dans des forums pédophiles, dans la mesure où cela va, quelque part, banaliser notre crime ou notre délit. C’est un petit peu comme dans d’autres forums… Par exemple un forum où certains motards ou certains automobilistes se vantent d’avoir fait du 180 ou du 200 km/h sur les routes de campagne. Dans la mesure où l’on est sur ce forum, dans cette communauté, on va banaliser ce fait. Et les pédophiles fonctionnent de la même façon. Parce qu’ils vont avoir un notaire, un médecin, un avocat, qui va leur envoyer de magnifiques images pédopornographiques, et comme c’est quelqu’un de bien, finalement, ça donne à l’image un côté positif, apaisant. C’est-à-dire que l’on se sent dans une communauté, et toutes nos réserves, tous nous gardes-fous vont se dissoudre, dans la mesure où, finalement, on est plusieurs. Donc si on est plusieurs à penser comme cela, c’est que ce n’est peut-être pas si mauvais que cela. Donc le fait d’échanger des images est problématique, et c’est une source de passage à l’acte potentiel.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.