Pédophilie et homosexualité : l’amalgame

Pierre Verdrager, sociologue, auteur de « L’enfant interdit : Comment la pédophilie est devenue scandaleuse » :

Dans les années 70-80, le monde LGBT était présent dans le débat pour la défense de la pédophilie, très fortement. Il y avait bien-sûr la loi sur la légalisation de la majorité sexuelle, mais la défense par le monde gay de la cause pédophile a été quand même présent jusqu’à une période assez tardive. Bien-sûr, il n’y avait pas d’homogénéité, tout le monde n’était pas d’accord. Mais on considérait, beaucoup de gens considéraient que la pédophilie faisait partie des causes que l’on pouvait défendre, au sein d’un ensemble plus vaste. La pédophilie prenait place dans un contexte plus large, visant à faire en sorte que les mœurs soient plus libres.
Le journal « Gai Pied », qui était le grand journal LGBT, a toujours défendu la pédophilie dans ses colonnes.

Jusqu’à quand ?

Début des années 90. Il y a d’autres journaux gays, à l’époque, comme « Samouraï » par exemple, qui étaient très anti-pédophilie.

La cause pédophile n’était pas portée par toute la presse LGBT ?

Non, bien-sûr que non. Mais, quand même, il y en avait.. C’est indéniable.

Ça existait…

Oui, tout à fait.

Donc, ce lien-là, que l’on peut entendre encore aujourd’hui, dans des manifestations homophobes, sa source, c’est que, à un moment de l’Histoire, les mouvements homosexuels, une partie des mouvements homosexuels se sont appropriés cette cause pro-pédophile.

Oui, absolument. Seulement, en général, ceux qui le font aujourd’hui ne le savent pas.

Ah d’accord. Ils le font juste…

Il le font juste à mauvais escient, pour nuire. Oui, c’est indéniable. On ne peut pas dire le contraire. C’est très intéressant à observer. Je veux dire par là que, quand on a une approche socio-anthropologique de ce qu’il se passe, il faut regarder les choses en face et essayer de comprendre.
Aujourd’hui, il y a un certain nombre de sociologues qui font des descriptions de ce qu’il s’est passé à cette époque-là comme étant un égarement, etc. Moi, je crois qu’il faut être plus profond que cela, et voir que les arguments, les gens y croyaient vraiment. Ce n’était pas du chiqué. Ils pensaient vraiment que les enfants pouvaient consentir, que tous les enfants qui étaient mis en question, pouvaient consentir. C’est ce que disait Foucault. Il y avait des gens très bien qui disaient des choses comme ça. Et donc, ça a constitué vraiment… on peut parler d’association de causes, de gens qui considéraient que tout ça ressortissait à la même réalité. La même réalité de la libération sexuelle. C’était de ça qu’il fallait s’occuper. Et donc, ceux qui parlent aujourd’hui, ceux qui font l’assimilation, en général, comme je vous le disais, ne le savent pas. Je ne voudrais pas que l’on utilise mes propos, ou l’approche historique que j’ai, pour tenter de disqualifier les homosexuels. Ça se serait tout à fait scandaleux, et anhistorique de le faire.

Parce qu’aujourd’hui, la parole pro-pédophile n’existe plus, n’est plus portée dans les milieux homosexuels ?

Absolument pas.

Jusqu’à quand, alors ?

Alors, c’est un débat…

À partir de quand ?

Il y a un débat entre sociologues là-dessus. Moi, je dis assez tardivement. « Gai Pied », s’arrête au début des années 90. Vraiment, ce journal a toujours été sur cette ligne. Au milieu des années 90, l’ILGA, la coordination LGBT aux États-Unis, dit qu’il faut arrêter de défendre la cause pédophile. C’est très tard quand même. Ce n’est pas un jugement de valeur. Disons que c’est étonnant par rapport à ce que l’on a maintenant. C’est-à-dire un monde LGBT totalement hostile aux pédophiles. Alors, on peut mettre ça plus tôt. Certains disaient que c’était 1982 la césure, parce qu’après, la question pédophile a été abandonnée. Moi, je suis certain que c’est après. Et c’est ça qui est intéressant d’ailleurs. Ce n’est pas en 1982 que tout ça s’arrête. Quand on regarde de près…

Dans vos sources, vous avez trouvé des arguments ?

Oui. Ce n’est pas en 82 que ça s’arrête. C’est après. Mais je peux vous dire qu’après, ça s’arrête vraiment. Ça s’arrête totalement. Pour moi, il y a plusieurs causes à ça. Une importante à mes yeux, c’est l’apparition du sida, au milieu des années 80, qui va réorienter complètement l’agenda politique des LGBT, et surtout des gays, autour de la normalisation. Pourquoi ? Parce qu’au moment de l’apparition du sida, que s’est-il passé ? On a vu que des couples existaient, que des gens, quand ils mourraient, les compagnons se retrouvaient éjectés par la famille de celui qui avait disparu. Et, on s’est dit à ce moment-là : « Il y a quand même quelque chose à faire ». Ça a fait prendre conscience à beaucoup de gens que la conjugalité homosexuelle existait, que des couples existaient, etc. Le sida a mis ça sous le nez de tout le monde. Et c’est à partir de ce moment-là que le combat politique visant à normaliser l’homosexualité… « normaliser », pas du tout dans un sens négatif, mais de donner un cadre juridique, de sécuriser la conjugalité homosexuelle…, c’est à ce moment-là que ça a commencé à émerger. Et, dans ce cadre-là, la question donc conjugale, mais aussi parentale, intervenait très fort.

C’est devenu la priorité ?

C’est devenu la priorité, ça a occupé l’agenda.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.