Pédophile ou pédocriminel ?

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Ce dont je suis sûre et ce que je vais affirmer c’est qu’il n’y a pas de lien entre le fantasme et « l’agir pédophile », le passage à l’acte pédophile. Ce sont deux problématiques complètement différentes.

Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :

Les psychanalystes parlent de pulsion, mais moi je dirais que c’est une sorte « d’appétence ». Ils ont besoin de se mettre en contact avec ce que représente cet enfant.

Symboliquement ?

Le problème, c’est que leur histoire ne leur a pas donné les outils symboliques, pas suffisamment d’outils symboliques qui pourraient leur donner envie d’écrire, de lire de la poésie, je sais pas, ou même d’animer un atelier de créativité, de cerf-volant ou de je ne sais quoi avec des enfants. Non, justement, ils ont une grosse carence symbolique, et c’est ça qui provoque le passage à l’acte, c’est cette carence de vie intérieure qui leur permet d’abord de comprendre quel est leur besoin et leur trouble, et au lieu de l’élaborer et de venir voir l’un d’entre nous, psy, un thérapeute, et pouvoir dire : « – Écoutez je suis embêté(e) parce que quand même quand je croise des petits enfants, il y a quelque chose qui se soulève en moi qui est difficilement contrôlable, j’ai besoin de vous en parler.
– Très bien Monsieur, Madame (Madame aussi), installez-vous et on va essayer de symboliser cet affaire, au lieu de la passer à l’acte ».
Le drame du pédophile c’est qu’il n’a pas les ressources pour symboliser cette affaire, il la passe à l’acte, l’enfant est soit sidéré, soit intéressé, et donc le pédophile n’a pas l’idée, parce qu’il n’arrive pas à se mettre à la place de l’enfant, qu’il est en train de faire quelque chose de monstrueux pour l’enfant.

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Moi je pense que ceux qui agissent dans la réalité sont très peu par rapport à tous les fantasmes pédophiles qui ont traversé la tête des gens un jour ou l’autre. De trouver un enfant particulièrement mignon ou particulièrement attirant, voire peut-être un peu sexy. Mais ça reste soit une idée qui traverse, soit chez d’autres un fantasme envahissant.
Ce que je constate moi chez les auteurs d’actes pédophiles que je rencontre en milieu carcéral, c’est que justement il n’y a pas de fantasmes. C’est-à-dire qu’il y a une envie qui est immédiatement agie.

Roland Coutanceau, psychiatre, psychanalyste, psychocriminologue, expert national, président de la Ligue Française pour la Santé Mentale :

On ne choisit pas d’être homo, d’être hétéro, d’être pédo exclusivement ou pas, mais par contre, notre personnalité choisit de faire un acte ou pas, de faire du mal ou pas à quelqu’un doit on voit bien qu’il ne le voit pas. Moi il y a deux mots que j’aime bien parce qu’ils sont palpables par tout un chacun : le premier c’est immature — d’accord c’est un peu flou mais on voit bien ce que ça veut dire -, et l’autre c’est égocentrique, centré sur soi, et au fond, beaucoup de ceux qui dérivent vers l’acte sur les enfants sont soit immatures, soit immatures-égocentriques, soit plus égocentriques qu’immatures. Donc on voit avec ces deux curseurs, l’immaturité, l’égocentrisme, on a une lisibilité, on a une lecture de la personnalité en tous cas, de ceux qui, ayant un fantasme pédophilique, dérivent, transgressent, vers le passage à l’acte.

Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :

Il peut y avoir des agressions sexuelles ou des viols commis sur des enfants, par des sujets qui ne sont pas pédophiles, qui sont en fait des pédophiles de circonstance, soit des sujets très frustres…

« Très frustres », ça veut dire quoi ?

Un peu limités intellectuellement, qui ont des problèmes psychologiques graves, qui sont très isolés, et qui peuvent, faute de pouvoir vivre leurs pulsions sexuelles avec des sujets adultes, se retourner contre un sujet plus vulnérable, qui peut être soit une personne handicapée, soit un enfant. Donc il ne s’agit pas de vraie pulsion sexuelle pour des enfants, mais d’une pulsion qui va s’exercer sur un enfant. Le pédophile, lui, il a une attirance sur les enfants, et ça représente la majeure partie des sujets que l’on voit en expertise, qui sont mis en cause pour des faits de nature sexuelle sur les enfants.

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

On sait que plus de 90% des auteurs d’actes à caractère pédophile sont des adultes de l’entourage des enfants. Donc la pédophilie, elle surgit dans une relation humaine, sociale, entre un adulte et un enfant, et avec un adulte qui n’arrive plus à se situer par rapport à l’enfant. Il n’y a pas de mot pour définir la relation entre un adulte et un enfant. Est-ce que l’on parle d’amitié ? Moi, je ne suis pas sûre. Pour moi l’amitié est une relation, je dirais, à égalité, de génération, de centre d’intérêt. Néanmoins c’est ce que certains pédophiles disent : « on était amis ».

Certains disent « on était amoureux » ?

Beaucoup disent qu’ils étaient amoureux. Enfin beaucoup, un certain nombre disent qu’ils éprouvaient des sentiments amoureux pour l’enfant qu’ils ont agressé. Alors, ils réfutent le terme d’agression, au départ en tous cas. Mais il y a un contexte relationnel. Je crois que quand on décrit, ce que j’entends moi parfois, les pédophiles comme étant envahis de fantasmes, qui sont des prédateurs, qui vont guetter un enfant dans la rue, l’enlever.

Le manipulateur ?

Le manipulateur, le prédateur, celui qui va être en chasse d’un enfant, qui a des scénarios… On ne peut pas dire que ça n’existe pas, il y en a quelques-uns et ce sont eux qui font du bruit dans les médias, pour lesquels les médias font beaucoup de bruit. Néanmoins ils sont rarissimes statistiquement. La grande grande majorité, 90%, c’est pour pas dire 100%, font partie de l’entourage de l’enfant. Et les actes à caractère sexuel surgissent dans un contexte de relation affective et de confiance entre un adulte et un enfant.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.