Le fantasme pédophile
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
La base du désir est incestueuse, et donc pédophilique dans les deux sens. C’est-à-dire qu’on apprend le désir, l’enfant apprend à désirer, en désirant son père et sa mère. Et parce que son père et sa mère ont envers lui tout un tas de comportements, de gestes, de regards, de paroles, qui sont porteurs globalement du désir.
C’est-à-dire qu’on est tous dans le pulsionnel dans nos relations avec les enfants ? C’est une question de dosage ?
C’est une question d’élaboration, d’orientation, et donc de dosage. Et de cadrage, de contenance. Ce sont tous ces éléments-là qui font que nous allons transformer ce qui était de la matière brute, mais vitale, pulsionnelle, en quelque chose qui va se vivre de bonne manière, civilisée.
Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :
Le fantasme de l’adulte qui prend possession du corps de l’enfant ne correspond pas du tout, quoiqu’ils en disent, au fantasme de l’enfant. C’est comme si le fantasme d’être en contact avec un si bel enfant venait faire renaître quelque chose, réparer quelque chose, et en même temps l’incongruité de la différence d’âge entre l’enfant et l’adulte ne fonctionne pas pour dire « il y a un interdit, ça ne se peut pas ! » Et donc c’est cet interdit qui ne fonctionne pas parce que la blessure reste ouverte, la blessure de l’enfance reste ouverte.
Est-ce que c’est problématique d’avoir des fantasmes pédophiles ?
Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :
C’est problématique avant tout pour la personne je crois. Précisément pour la représentation qu’elle se fait d’elle-même au moment où elle éprouve ces fantasmes-là, et toutes les questions que ça va générer chez elle. Donc c’est pas problématique socialement parlant, c’est pas problématique pour les enfants, à condition bien sûr que la personne ait conscience de cette distinction justement entre fantasme et passage à l’acte, mais pour la personne qui le vit, oui, ça peut être extrêmement perturbant. D’où l’intérêt d’avoir des référents autour, des thérapeutes, des personnes, qui puissent prendre en charge, qui puissent entendre. Ne serait-ce que cela.
Walter Albardier, médecin psychiatre au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles Ile-de-France (CeRIAVSIF) :
C’est quelque chose qui est parfois extrêmement difficile. J’ai connu des gens qui refusaient de sortir, qui ne sortaient plus de chez eux, rien que parce qu’ils se sentaient pris par cette attirance envers les enfants, certains que les gens les repéraient et les voyaient comme cela ; ça peut rendre très paranoïaque. C’est parfois de grandes souffrances, dans un grand isolement.
Est-ce que ça doit être perturbant ? Est-ce que c’est positif le fait que ce soit perturbant d’avoir ces fantasmes ?
Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :
Oui, je crois que c’est positif, parce que ça signe le fait qu’on ressent la limite, justement. Qu’on se dit que ça ne doit pas exister. Donc c’est un signal d’alerte, il faut l’entendre comme ça. C’est un signal qui s’allume chez les personnes. Les personnes qui ne ressentent pas de problème avec ça, parfois on dit qu’ils ont des distorsions cognitives, c’est-à-dire qu’ils ont une idée de la réalité qui est distordue, qui ne correspond pas à la réalité commune, qui vont par exemple se dire que : « Oui, oui, bien sûr, les enfants ont besoin d’une sexualité », que « quand un enfant me sourit, c’est qu’a priori il me séduit » …etc. Ça ce sont des distorsions cognitives. Eux, ils ne vont pas avoir cette petite alerte qui va s’allumer en eux, au moment où ils auront avoir des fantasmes pédophiles. Et là c’est un peu plus inquiétant.
Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :
Le problème d’avoir des fantasmes pédophiles, c’est de ne pas savoir quoi en faire. C’est-à-dire que si je commence à m’apercevoir que j’ai des fantasmes pédophiles qui me pousseraient assez naturellement à un passage à l’acte, il y a quelque chose dans ma conscience d’humain adulte qui doit se dire « ça va pas, qu’est-ce que je peux faire avec ça ? »
Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :
Si vous développez ce fantasme, et que ça devient par exemple la source de votre excitation lors d’une pratique masturbatoire, vous vous mettez en danger de pouvoir le vivre un jour, et donc de passer à l’acte, et de fait, d’une part, de faire des victimes, ou tout simplement, de vous retrouver avec des ennuis judiciaires si vous utilisez des médias pédopornographiques par exemple. Donc je pense que toute personne qui se rend compte qu’elle réagit positivement à cette excitation sexuelle. Par exemple un enseignant qui découvre quand il s’occupe d’enfants, qu’il a une érection ; ou une institutrice qui utilise dans ses pratiques masturbatoires les enfants dont elle s’occupe la journée, elle est en situation de risque de passer à l’acte. Et donc il faut qu’elle puisse consulter de façon préventive, pour arriver à gérer ce type de fantaisies.
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
La personne n’est pas responsable de ses fantasmes, elle est responsable de ce qu’elle en fait, c’est-à-dire qu’à partir du moment où elle a ce type de fantasme, elle doit s’interroger sur ce que ça signifie dans son histoire, dans son évolution. Et avoir le courage, l’éthique de s’en occuper.
Roland Coutanceau, psychiatre, psychanalyste, psychocriminologue, expert national, président de la Ligue Française pour la Santé Mentale :
Un fantasme – et j’aime bien ce mot – ça s’apprivoise. La sexualité humaine, pour les pédophiles comme pour les autres, elle s’apprivoise.
Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :
Je crois que c’est très important que les gens puissent se dire « il y a quelqu’un qui est un humain comme moi et qui est en mesure de m’aider, et de m’aider à dépasser ça, pour éviter le passage à l’acte, et pour protéger des enfants ».
Latifa Bennari, fondatrice et présidente de l’Association L’Ange Bleu :
Le conseil que je donne à beaucoup de pédophiles, c’est d’essayer d’éviter tout ce qui alimente les fantasmes. Par exemple la pédopornographie, les images sur des magazines d’enfants, les pensées érotisées dehors lorsqu’ils croisent un enfant qui correspond à leur préférence. Ne pas l’érotiser, le regarder comme un enfant, pour ne pas alimenter les fantasmes après, quand il revient chez lui. On peut réduire les fantasmes avec un soutien, avec une écoute, avec une volonté. Il faut juste savoir gérer ça.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.