La sexualisation des enfants dans la société

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

Notre société facilite l’excitation sexuelle et l’érotisation mais sur tous supports, d’emblée. Et comme on est dans une confusion de plus en plus grande des différents statuts enfance, adolescence, âge adulte, on va chercher dans ce qu’il y a de plus profond chez l’être humain, peut-être en lui réactivant ses petits souvenirs « tu te souviens quand t’étais petit, c’était tellement bien quand tu fantasmais sur ta petite copine », et puis du coup on va utiliser peut-être l’image de l’enfant en l’érotisant, et le sexualisant.

Roland Coutanceau, psychiatre, psychanalyste, psychocriminologue, expert national, président de la Ligue Française pour la Santé Mentale :

Finalement, cette espèce de sexualisation du corps des prépubères, je dirai même – allez, en étant un peu provocateur -, c’est presque un esprit de pédophile. Donc on ne va pas crier au scandale si une petite fille veut s’habiller comme maman, parce qu’elle la singe, et ça a un côté naïf, ça peut être un jeu, ça peut être du théâtre, ça peut être au deuxième degré.

Mais qu’elle en ait envie, c’est normal…

Mais je pense que la société le favorise, l’encourage, voire l’institutionnalise dans le monde de la mode. Sans être un vieux con, je me sens plutôt comme un libérard plutôt, libertaire assez ouvert, honnêtement j’en vois pas l’intérêt et j’ai envie de dire aux gens : est-ce que c’est vraiment une bonne idée ? Pour que les adultes restent adultes et réfléchissent quand même à la manière dont ils accompagnent les enfants. Je dirais qu’il faut dire aux enfants : « vous avez le temps, si c’est une fois pour s’amuser pourquoi pas », mais je pense, que la culture l’accompagne quelque part – je le dis sobrement parce que j’en suis pas sûre – c’est un peu de mauvais goût.

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

Y a quelque chose d’assez paradoxal et de schizophrénique entre cette peur de la pédophilie d’un côté et en même temps cette hypersexualisation de l’enfant dans toute l’imagerie urbaine et dans cette société de consommation, à des fins consuméristes dans notre société occidentale actuelle.

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

Notre société majore et augmente la confusion autour des différents registres enfance, adolescence, âge adulte et autour de la question du sexe et de la sexualité, mais à tous points de vue, et y compris pour les enfants, via internet, via les supports de publicité. Les enfants qui se baladent et qui voient des petites filles maquillées, là aussi quel message on leur renvoie.

Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :

On découvre qu’aujourd’hui, probablement pour des raisons de régimes alimentaires, les petites filles sont réglées beaucoup plus tôt, à l’école primaire ! Et qu’est-ce qu’elles peuvent en faire, si ce n’est se propulser dans une espèce de pseudo-maturité que généralement leur mère apprécie !

J’ai l’impression que chez certaines mères, il y a une excitation à rendre leur petite fille séduisante ?

Comme si elles avaient peur que les choses ne viennent pas en leur temps ou en son temps. C’est pour ça que je pense que nous sommes dans une période de grande transformation du rapport au corps, du rapport à la sexualité, du rapport à l’enfance et qu’on a besoin d’en parler, d’y réfléchir, d’y penser, et individuellement, et collectivement.

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

Il y a un exemple qui est criant c’est celui des mini-miss.

Ce sont des concours de beauté pour les petites filles. Même parfois toutes petites. Ça commence à quel âge ?

Ça peut commencer dès l’âge de quatre, cinq ans, c’est extrêmement jeune. Alors on va les déguiser en jeune femme, très caricaturales. Alors c’est ça aussi, érotiser pour un enfant, en plus, c’est l’érotiser selon des stéréotypes de genre, donc l’hypervirilité pour les garçons – on en parle très peu – et puis une féminité caricaturale pour les filles, à base de talons, maquillage, et puis toutes les attitudes qui vont avec, c’est-à-dire des attitudes plutôt passives, et puis surtout une mise en avant de l’apparence. Alors ça c’est particulièrement important parce que derrière, l’enfant il va intégrer cette question de l’apparence comme étant le primat dans la relation, et ça, ça va générer beaucoup de comportements chez lui et beaucoup d’angoisses, surtout quand il ne correspond pas aux normes que lui impose la société. Avant de parler du phénomène au niveau social, peut-être qu’on peut en parler tout d’abord tout simplement au niveau du noyau familial. Pourquoi à un moment donné une maman, ou un papa d’ailleurs, décide de faire concourir sa petite fille chez les mini miss ? Alors on parle beaucoup de prolongement narcissique.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire que ce sont des personnes qui vont avoir envie de faire réaliser par leurs enfants ce que eux n’ont pas été capables de réaliser, et ils vont se rassurer par le prolongement de l’enfant. Et il y a quelque chose qui va être de l’ordre de la fusion. C’est comme si l’enfant faisait partie de soi et inversement, il ne va pas y avoir de différenciation et l’enfant ne va pas pouvoir vivre ses propres désirs, se les approprier, se les construire. Il va devoir vivre et mettre en acte le désir de son parent, pour que ce parent-là puisse être rassuré dans son identité. Rassuré aussi, parce que quand on fusionne, on est sûr de ne pas être abandonné. Donc, c’est des personnes, on se rend compte dans leur histoire, ces parents-là, qui ont vécu beaucoup une histoire d’abandon, qui parfois d’ailleurs ont vécu des violences sexuelles. En tous cas ce n’est pas anodin, il y a toujours des histoires un petit peu complexes derrière tout ça. Et puis, on se rend compte que ce phénomène, qui est assez fréquent, et bien la société s’en empare, la société de consommation en tous cas, parce qu’on se rend compte qu’on va pouvoir vendre avec, c’est-à-dire que le parent va être flatté de pouvoir acheter pour son enfant, des vêtements qui vont correspondre à des vêtements d’adultes, il va pouvoir modeler l’enfant à son image. Et on se rend compte que tout ça, ça peut faire fonctionner un marché, tout simplement.

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

C’est l’objet de la publicité, d’aller, comme ça, transformer quelque chose de l’ordre d’une pulsion en acte d’achat. C’est un métier, ça. Et donc du coup, plus on va vers des pulsions un peu archaïques, des choses un peu compliquées, on va vraiment appuyer sur des boutons qui déclenchent des cascades d’excitation, plus c’est simple. C’est connu : le sexe, la violence, ça vend. Donc voilà, du sang, du sexe, et puis c’est parti. Donc on va comme ça utiliser, des recours et des ressorts vraiment très archaïques de l’être humain. Et du coup, l’enfant → le sexe → la pédophilie.
Donc la société n’est pas pédophile, mais la société utilise ces ressorts archaïques d’excitation et de pulsions qui vont aggraver les malentendus et augmenter la souffrance en particulier lorsque vous êtes en question du côté de vos choix d’objets sexuels, ou sinon directement en souffrance du côté d’une attirance vers les enfants.

Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :

Quelqu’un qui n’est pas bien dans sa sexualité, dans sa vie intérieure, qui manque d’élaboration, quand il voit une petite Lolita qui se trémousse devant lui, j’ai envie de dire, il faut une grande force d’âme pour lui dire « écoute va te rhabiller » ou « va jouer ailleurs, parce que moi je ne supporte pas ». Mais quelqu’un de solide lui dira « mais va te rhabiller, enfin, mais qu’est-ce que c’est que ça ? », mais quelqu’un d’un peu fragile…

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Quand on est petite fille, on a envie d’être grande, on met les chaussures à talons de sa maman, on se maquille, et on prend les affaires de maman, ça fait partie de l’envie de grandir, c’est très sain. Par contre que l’adulte entre dans ce jeu-là et choisisse des vêtements ou des tenues vestimentaires ou du maquillage précocement, qui en font la norme, ça, ça me paraît très inquiétant. Et je pense que ça ne contribue pas à, dans le travail qu’on peut faire auprès des auteurs d’actes pédophiles, de leur expliquer que « les adultes sont les adultes et les enfants sont les enfants », que ce n’est pas pareil.

Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :

Il y a deux choses. Il y a l’érotisation des enfants, par l’habillage, par les comportements qu’on leur suggère d’avoir parfois. Mais il y a, et c’est tout aussi problématique, si ce n’est plus, à l’heure actuelle, ça a plus d’ampleur dans nos sociétés : on les laisse voir, entendre, être confrontés à des images, à des paroles, à des situations qui les excitent sexuellement, qui les empêchent d’être dans leur élaboration intérieure. Ils n’ont pas les moyens de contenir une surexcitation de cet ordre. Et c’est normal qu’ils n’en aient pas les moyens. Ce sont des enfants. Donc à partir du moment où on les bombarde, on leur demande de se défendre, comme ils le peuvent, contre cette surexcitation. Ils s’en défendent soit en l’agissant, en la montrant, en étant excités, agités… on en voit plein agités, agressifs, ou alors dans une inhibition, quelque chose qui va les couper de cette évolution-là, parce qu’ils vont mettre un frein intérieur par peur de l’intensité des ressentis intérieurs. Ça c’est très dommageable.

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

L’autre gros phénomène, c’est de lui ôter ce temps qui est extrêmement indispensable qui s’appelle la période de latence.

C’est-à-dire qu’il y a une sorte d’hibernation ?

Une hibernation, c’est tout à fait le terme.

Entre quel âge et quel âge ?

C’est à peu près entre 7 et 11, 12 ans. 6, 7 ans à 11, 12 ans. Et cette période elle est extrêmement importante parce qu’au plan de la sexualité, donc du point de vue de la sexologie, elle est importante parce qu’elle permet de mâturer la sexualité. Et qu’est-ce que ça veut dire avoir une sexualité mature ? Ça veut dire justement qu’on est capable de différer ses désirs. Ça veut dire qu’on n’est pas dans l’immédiat, on n’est pas dans la toute-puissance. Ça veut dire qu’aussi on est capable d’accepter que l’autre n’a pas forcément les mêmes désirs, ou pas au même moment, et que ça ne va pas forcément se passer exactement tel que je l’ai voulu, qu’il va falloir composer, tout simplement, avec l’autre. Et c’est ça une sexualité mature. Et si on n’accède pas à cette sexualité mature, et bien le rapport à l’autre sera toujours insatisfaisant, et de fait il va falloir trouver d’autres palliatifs comme même parfois une consommation excessive de pornographie par exemple, ou des personnes qui vont avoir du mal à avoir des relations construites avec les autres, qui vont être dans la consommation d’autrui.
Donc cette hyper-sexualisation de l’enfant, elle va avoir des conséquences très importantes sur la sexualité du futur adulte qu’il va devenir.

Donc c’est un phénomène qui est quand même très problématique ?

Absolument, je ne vais pas dire le contraire, c’est sûr. Oui bien sûr.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.