La place de l’enfant dans la famille
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
Il n’y a pas si longtemps, on était à l’époque victorienne qui a vu d’ailleurs la naissance de la psychanalyse, et pas pour rien, c’est-à-dire qu’à l’époque, tout était corseté et il n’y avait pas d échanges physiques, tendres, les enfants étaient dans le monde des enfants, il y avait une froideur, quelque chose qui manquait beaucoup dans les relations parents-enfants.
Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :
Il s’est passé quelque chose de très important dont aujourd’hui on n’a pas suffisamment conscience, c’est que la mortalité infantile a drastiquement diminué entre les deux guerres. L’idée aussi de certaines méthodes de contraception – même si ça a commencé par des méthodes assez artisanales dans le genre Ogino… etc. -, l’idée des méthodes de contraception et l’idée que l’enfant n’était pas forcément, n’était pas automatiquement victime d’une mort précoce a donné une place à l’enfant qui est une place de sujet, celle qu’on connaît aujourd’hui, et ça a évidemment démultiplié la protection qui lui était dû, évidemment. Puisqu’on considérait que pour qu’il y ait un ou deux survivants, on n’avait pas besoin de faire cinq ou six enfants. Et donc les deux ou trois enfants qu’on faisait dans une famille étaient investis d’un amour, d’une protection, d’un regard qui était un regard, non pas comme on regarde un objet ou un animal, mais comme on regarde un sujet. Et donc l’enfant est donc progressivement devenu sujet et je dois dire aussi que les progrès de la psychanalyse, et toute l’attention qui a été portée sur les traumatismes vécus par les enfants dans leur enfance quand ils se retrouvent adultes, a été aussi un facteur important.
Véronique Le Goaziou, sociologue, ethnologue, philosophe, chercheuse associée au CNRS, auteure d’une étude sur le viol :
L’enfant était une sorte de petit être miniature, c’est-à-dire d’adulte en miniature, c’était un adulte diminué, un adulte à taille réduite mais il a fallu du temps pour imaginer que l’enfant n’était pas uniquement un adulte à taille réduite, qu’il avait un certain nombre de caractéristiques, de spécificités, une mentalité, un corps, un développement psycho-affectif comme diront les psychologues, les psychiatres, les psychanalystes après, qui lui était spécifique, et qu’à ce titre, il devait bénéficier d’une protection, d’un traitement à part. Et ce mouvement de protection de l’enfance a d’ailleurs aussi été accompagné d’un mouvement de surveillance de l’enfance. L’un ne va pas sans l’autre, on ne protège pas si on ne surveille pas, on ne protège pas si on ne contrôle pas. Et ce mouvement de protection de l’enfance, qui en gros… les prémices sont fin du 18ème, début du 19ème, mais c’est surtout au long du 19ème siècle qu’il va en réalité se mettre en place avec les premières lois d’interdiction du travail pour les enfants les plus jeunes, avec la loi sur la possibilité de déchoir le père de l’autorité paternelle, ce qui a été une véritable révolution. Donc on a vu petit à petit, avec la loi qui jettera les bases et les fondations de la protection maternelle et infantile… On a vu petit à petit surgir cette figure de l’enfance, pas encore de l’adolescence, l’adolescence ça viendra plus tard, c’est plutôt une figure du 20ème siècle, mais cette figure de l’enfance comme cet être qui n’est pas réductible à un adulte miniature. Ça veut dire un adulte avec des choses en moins au fond, et comme étant un être qui nécessite de la part des adultes mais surtout de la part de la société, de la part de l’état, lorsque l’état prendra sa place, qui nécessite une protection, qui nécessite d’être entouré, qui nécessite un accompagnement, en même temps qu’il nécessitera un contrôle et une surveillance. Et dans ce cadre-là, la question des violences faites aux enfants vont devenir d’une certaine façon le sommet de l’iceberg, c’est-à-dire que ces violences qui apparaissaient tolérables, en tous cas qui étaient tolérées, « qui au fond étaient une affaire de famille, qui n’étaient pas si graves que cela » pour lesquelles on ne se posait pas la question du préjudice dans les sociétés où la notion de victimes n’avaient quasiment pas de place, ni sur le plan moral, ni sur le plan légal, et bien la question des violences va prendre une place singulière, et notamment des violences faites aux enfants. Et le mouvement de protection de l’enfance, de mon point de vue, va d’abord se cristalliser autour des violences physiques faites aux enfants : les coups qui vont leur être portés, les brimades, les maltraitances – notamment dans la cellule familiale mais pas uniquement – et petit à petit, surtout au 20ème siècle, va émerger peu à peu la question des violences sexuelles faites aux enfants, comme étant la violence maximale ou les violences maximales que l’on peut infliger à un enfant.
Walter Albardier, médecin psychiatre au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles Ile-de-France (CeRIAVSIF) :
L’enfant devenant quasiment un objet, un demi-dieu dans la famille, parfois on le protège beaucoup, jusqu’à en faire un objet un peu fétiche, et partagé : dormir avec lui, aujourd’hui, c’est quelque chose d’assez fréquent. Et c’est assez fréquent aussi d’envisager que son enfant, doit être protégé absolument du monde extérieur. Mais il faut donner à l’enfant les capacités de se défendre du monde extérieur. Il faut éviter de le laisser dans un cocon, parce que ça va le fragiliser ; ça ne l’aidera pas à voir ce qu’est l’extérieur.
Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :
Moi je suis frappée par le nombre de publicités, à travers le monde, qui donnent à l’enfant la responsabilité d’un choix familial. Il y a des publicités où ce sont les enfants qui choisissent les voitures, où c’est pour les enfants qu’on choisit tel lessive ou tel véhicule. L’enfant il est pas outillé psychiquement pour prendre ce genre de responsabilités, pour assumer les conséquences que ça peut avoir. Être adulte c’est anticiper, donc assumer les conséquences de ses choix. Et on met ces images, c’est très médiatique tout ça va dans les foyers et ça vient dire aux parents « faites-confiance à vos enfants, ils savent choisir ».
Walter Albardier, médecin psychiatre au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles Ile-de-France (CeRIAVSIF) :
Il vaut beaucoup mieux leur apprendre à être prudent que de les enfermer chez soi en leur disant « Tu ne sortiras que quand tu auras 18 ans », sinon à 18 ans, l’enfant qui sera resté un enfant parce qu’il n’aura pas pu grandir et se confronter au monde, sera en grande difficulté. Pour cela, il faut quand même que les parents apprennent qu’il faut qu’ils se séparent des enfants. Et ça, souvent, dans notre société, c’est difficile. Et c’est devenu plus difficile. Si, aujourd’hui, les parents se rappellaient qu’il y a 20 ans, 30 ans, quand eux-mêmes étaient à la place de leurs enfants, ils avaient de l’espace, ils étaient plus confrontés au monde qu’ils n’acceptent la confrontation au monde pour leurs enfants, peut-être que ça pourrait les aider. Le monde n’est pas plus dangereux aujourd’hui qu’il y a 20 ans, il l’est plutôt moins. Alors, le monde occidental, en France. Il y a moins de crimes, moins de délits, même si on a le sentiment, toujours, que le monde est de plus en plus dangereux et de plus en plus violent. C’est une mauvaise représentation de la réalité, qui vient souvent donner des excuses à nos difficultés de nous séparer de nos enfants, et de les laisser grandir, pour eux.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.