La pédophilie dans l’Histoire (1/3) : avant le XXème siècle

Anne-Claude Ambroise Rendu, historienne, professeure à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et auteure de « Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles » :

Avant le 19e siècle, on ne sait pas grand-chose. Ce que l’on constate, c’est que, pour que la pédophilie – qui est un terme apparu très tardivement et que l’on utilise massivement depuis une trentaine d’années, mais qu’on n’utilisait pas avant – donc pour que la pédophilie soit définie comme telle, il fallait d’abord que l’enfant soit identifié comme enfant, comme un être à part, en plein développement, donc comme un être à protéger, en tout cas un individu qui a besoin de conditions favorables et particulières pour se développer de manière harmonieuse. Or, cette identification de l’enfant comme tel est finalement assez tardive.

C’est-à-dire qu’avant, l’enfant, déjà, mourait souvent…

Il y a déjà cette question de l’action démographique, qui fait qu’en gros 50% des enfants mouraient très précocement. On fait beaucoup d’enfants, et puis ils survivent, ou pas. Et surtout, on cesse très tôt d’être un enfant. Sous l’Ancien Régime, on cesse très tôt d’être un enfant. Il ne faut pas oublier que les monarques restent dans les jupes de leurs mères jusqu’à 7 ans, qui est « l’âge de raison », et puis ensuite, ils passent du côté des hommes, et ils sont formés aux métiers des armes, à ce qui sera leur métier de Roi. Et donc, pratiquement, ils passent sans transition de la petite enfance à une sorte d’âge adulte, d’âge pré-adulte. Évidemment, la notion d’adolescence n’existe pas, la puberté est plus ou moins prise en compte, et du coup ils sont aussi poussés à la sexualité très tôt, très précocement.

Chez les paysans, chez le peuple, aussi, ils sont mis au travail très tôt ?

Absolument, dans les classes populaires, les enfants sont mis au travail même bien avant 7 ans, très tôt on les envoie garder les oies quand ils sont tout petits, et puis au fur et à mesure de leur croissance, ils gardent des bestiaux plus volumineux.

Alors, concernant la sexualité, est-ce que les enfants sont des objets ? C’est-à-dire qu’on les prend quand on a des pulsions, et puis on les viole ?

Ce que l’on trouve, dans un certains nombre de chroniques, ce sont quelques mentions, en effet, de petites filles utilisées, sans que ça ait l’air d’énormément choquer, utilisées par des hommes adultes pour leur plaisir sexuel, sans que les parents, ou les responsables de ces enfants, aient l’air d’en être particulièrement indignés. Je ne sais pas si cela tient à la position du chroniqueur sur la question. C’est très difficile à dire. Ce qui est sûr c’est que les Rois de France sont initiés à la question de la sexualité précocement, et qu’aujourd’hui, c’est le cas par exemple de Louis XIV, on interpréterait cela comme un viol.

En même temps, les garçons étaient initiés très tôt, voir même enfants, avec des femmes de l’âge de leur mère, puis dès qu’ils entraient dans l’adolescence, c’était une femme, adulte, qui les initiait…

Et puis ils étaient mariés, en tout cas au sein de l’aristocratie, chez les Rois, ils sont mariés très tôt.

Avant la puberté ?

Parfois oui, étant entendu qu’on attendra la puberté pour que le mariage soit consommé. Parce que le mariage et la sexualité ne sont pas des affaires individuelles, ce sont des institutions qui répondent à des impératifs sociaux et politiques. On construit des alliances en mariant les enfants, et évidemment sans leur demander leur avis. Il ne viendrait pas à l’esprit de ces enfants, ou exceptionnellement, de donner leur avis, d’ailleurs. Ils le savent, ils sont éduqués dans l’idée qu’ils seront mariés avec une telle ou un tel, pour des raisons politiques, diplomatiques, géostratégiques, et que naturellement, leur devoir, dans les familles royales et aristocratiques, c’est de donner à la dynastie un héritier.

Alors quel est le rapport à la sexualité, quand on est enfant, ou ce qu’on appellerait aujourd’hui pré-ado ou ado ?

Il y a eu un certain nombre de travaux d’historiens, singulièrement d’historiennes d’ailleurs, sur ce rapport à la sexualité. Là aussi, c’est très difficile de formuler des généralités. C’est très différent selon les régions, c’est aussi assez différent selon les catégories sociales. On peut dire qu’on voit dans certaines régions, on le lit dans les dossiers d’archives, des petites filles qui sont assez précocement initiées à la sexualité, soit parce que, en milieu rural – la population rurale est majoritaire, donc c’est évidemment le plus fréquent – ces enfants ont devant les yeux, quotidiennement, le spectacle de la sexualité animale, donc elles sont assez au courant, et les petits garçons aussi d’ailleurs, de la manière dont les choses se passent, et d’autres qui semblent complètement ignorantes, et jusque tardivement, jusqu’à la puberté. La puberté c’est le moment où la mère se décide enfin à informer sa fille de ce qui l’attend, de ce que ça signifie que ce saignement brutal, et de ce qui l’attend ensuite. Donc il y a vraiment les deux cas de figure, et il est très difficile de formuler une généralité sur la question. Alors, ce savoir précoce de certaines petites filles, qui par ailleurs peuvent être, effectivement, assez délurées, confesser au bout d’un moment qu’elles ont des jeux sexuels ou parasexuels entre elles ou leurs petits camarades, etc., est évidemment, souvent, notamment pour les juges d’instruction, l’indice qu’elles sont débauchées, et cela fournit parfois aux procureurs et aux jurys des cours d’assises, la possibilité de dire que, certes, cette petite fille a été l’objet d’un attentat à la pudeur, mais qu’au fond, elle avait provoqué son agresseur, et donc on l’acquitte. On considère que tout cela était sans gravité.
Les médecins sont mobilisés progressivement sur la question, eux aussi, en tant qu’experts. Ils sont appelés souvent à se prononcer sur la réalité ou non de l’attentat subi par l’enfant. Quand on examine une enfant qui prétend avoir été agressée sexuellement, on ne lui pose pas de question, on ne lui parle pas. Elles sont terribles, ces expertises légales de la fin du 19e siècle. Il faut l’empêcher de pleurer, même si on lui fait un peu mal. D’ailleurs ne faisons pas cela chez elle, mais plutôt à l’école de médecine, parce qu’au moins, ça l’impressionnera.
Et au milieu du 19e siècle, un médecin, qui a joué un rôle fondamental dans cette affaire, qui est Ambroise Tardieu, publie un article très important sur la question des attentats à la pudeur commis sur les petites filles. Il éveille un peu l’attention de ses contemporains à cette question, il témoigne aussi d’ailleurs d’une forme de sensibilité à cette question en faisant remarquer que ce sont des faits courants, et que ce sont des faits, surtout, qui ont des conséquences, sur… on ne parle pas de psychisme, mais sur le développement ultérieur de l’enfant. Donc, ça devient un sujet médical, en même temps que cela devient, et même avant que cela ne devienne, un sujet médiatique.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.