La pédophilie dans la Presse (4/4) : 1995-2015
Anne-Claude Ambroise Rendu, historienne, professeure à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et auteure de « Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles » :
Après, il y a l’affaire Dutroux. Cette affaire Dutroux a jeté un grand trouble, tous ceux qui s’en souviennent, se souviennent bien, et particulièrement s’ils avaient des enfants à cette époque, de cette espèce de commotion qui a traversé toute l’Europe, et j’imagine, d’autres endroits dans le monde. L’affaire Dutroux a conduit à considérer, finalement, pour beaucoup de gens, et c’est encore très prégnant dans les médias, que le pédophile, c’est toujours potentiellement un tueur d’enfant. Et je dois dire que la télévision n’a pas arrangé les choses en la matière parce qu’un certain nombre d’émissions très grand public, très populaires, ont un peu continué de pratiquer cet amalgame. Avant cela, il y avait eu cet « été rouge » de 1989, c’est un été au cours duquel – « été rouge », la formule est médiatique, elle n’est pas de moi évidemment – l’été 1989 c’est un été au cours duquel plusieurs enfants ont été enlevés, kidnappés donc, violés et assassinés. Et c’est ainsi que, à la fin de l’été, les médias, à commencer par la télévision, parlent « d’été rouge ». Il y avait eu ce premier moment d’amalgame, mais qui assez vite s’était défait parce qu’un certain nombre de voix s’étaient élevées à ce moment-là pour rappeler que la réalité des agressions sexuelles sur enfants, c’est une réalité qui est tout autre, qui est intra-familiale, qui est beaucoup plus quotidienne, etc., qu’il ne faut pas tout mélanger. Et puis l’affaire Dutroux, à nouveau, brouille les cartes, et là beaucoup plus durablement, de manière beaucoup plus structurelle, puisqu’au moment du procès Dutroux, en 2004, « Le Monde » publie un article tout à fait intéressant disant que les experts psychiatres, qui sont chargés d’évaluer la responsabilité de Dutroux et sa pathologie en la matière, ont bien précisé que Dutroux n’était pas un pédophile mais que c’était un psychopathe. Ils ont distingué les deux cas de figure, en parlant de psychopathe violent, etc., alors qu’un pédophile est animé de pulsions qui le conduisent à passer à l’acte, ou pas — c’est déjà une grande différence –, et de pulsions qui, en principe, ne sont pas violentes, et qui en plus sont teintées d’affectivité. Dès le lendemain de la condamnation de Dutroux, on voit l’ensemble de la presse française — et belge j’imagine aussi, même si je ne suis pas allé vérifier —, titrer « Le pédophile Marc Dutroux condamné ». Donc, échec total de cette tentative-là, ce qui est finalement assez dommageable, parce que je pense qu’effectivement, le tueur d’enfant c’est l’arbre qui cache la forêt, c’est le cas exceptionnel, comme toujours l’homicide effraie beaucoup plus, mais, comme toujours, l’homicide est quand même la virgule dans l’ensemble du processus criminel. Depuis, il y a une espèce de confusion autour de la figure du pédophile, ce qui n’a pas empêché les médias — en sollicitant d’ailleurs un certain nombre d’experts — d’essayer de re-préciser les choses, mais il me semble que c’est difficile. D’ailleurs, au moment de l’affaire d’Outreau, si les délires d’un des accusés, qui disait qu’il y avait un corps de fillette qui avait été enterré, si cela a été aussi bien entendu, c’est parce qu’on faisait, précisément, l’amalgame entre les pratiques pédophiles et le meurtre d’enfant.
On en est où aujourd’hui ?
C’est difficile à savoir. On en est dans la « découverte » des crimes de l’église. C’est très curieux de voir à quel point on a peu de mémoire, parce qu’en réalité, à la fin du 19e siècle, il y a déjà beaucoup d’affaires qui mettent en cause des religieux. Donc pourquoi est-ce qu’on a l’air de découvrir ceci aujourd’hui ? Bah, ça prouve qu’on manque d’Histoire, donc, cela justifie en quelque sorte mon rôle ! Ça tient aussi au fait que, bien entendu, l’église a fait quand même régner au maximum l’omerta sur ces pratiques, elle a protégé ses desservants autant qu’elle l’a pu et pendant très longtemps, jusqu’à très très récemment, et partout dans le monde.
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
En tant qu’être humain, nous avons un fond de sauvagerie archaïque. Et toute l’Èvolution, notre évolution, est justement fondée sur l’apprivoisement, l’élaboration, l’assimilation et la civilisation de ce réservoir d’énergie sauvage. Donc les jeux du cirque à leur époque, et ce genre de médiatisation outrancière à notre époque…
De la pédophilie, des affaires criminelles…
Quelle qu’elle soit, avec ou sans pédophilie d’ailleurs, permet de se rebrancher à cette part de soi, tout en la projetant tout à fait sur un autre, qui est tellement monstrueux que ça ne nous regarde pas. Nous ne pouvons pas avoir affaire à ça. Mais ça permet quand même indirectement de se rebrancher à cette problématique-là, d’en parler, d’y penser, de ressentir ce pulsionnel, au lieu de faire le travail pour soi, à sa mesure, avec un rapport privé à ses pulsions.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.