La pédophilie dans la Presse (3/4) : 1985-1995

Anne-Claude Ambroise Rendu, historienne, professeure à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et auteure de « Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles » :

J’ai repéré, comme étant le premier moment d’une révélation… Les historiens aiment bien repérer le moment où tout commence en se demandant si c’est vraiment là, et s’il n’y a pas des choses qui ne se sont pas passées avant mais qu’ils n’ont pas vues, il faut faire attention, d’un point de vue méthodologique… Il me semble quand même qu’il y a un grand moment, c’est en Septembre 1986, « les Dossiers de l’Écran », qui est une émission très populaire, très connue, c’est le rendez-vous du mardi soir pour une très large partie des familles françaises. Or, en Septembre 1986, « les Dossiers de l’Écran » consacre la soirée à la question de l’inceste. Le film qui est projeté en première partie est un film américain très pudique sur une relation incestueuse entre un père et sa fille, qui est une relation naturellement abusive, mais ce qui est intéressant c’est le débat qui a lieu ensuite, donc à une heure tardive tout de même, il ne faut pas choquer les familles. Au cours de cette émission, a été invité Eva Thomas, qui publie à ce moment-là son livre, qui s’appelle « Le viol du silence », qui commence par cette phrase : « À 15 ans, j’ai été violée par mon père ». Eva Thomas est donc, pratiquement, la première victime à témoigner, à visage découvert, sur un plateau de télévision, du viol qu’elle a subi. C’est donc par l’inceste que la question de ce qu’on va appeler, à partir de ce moment-là « les abus sexuels sur enfant », terme qui n’était pas utilisé auparavant, fait son entrée dans les médias et du coup dans l’espace public. Cette émission a été très suivie et a donné lieu à une masse de réactions. D’abord parce qu’il y avait le standard téléphonique, les gens téléphonaient au « SVP 11 11 » pour dire ce qu’ils pensaient de ce qui était en train de se dire sur le plateau, et puis dans les jours qui ont suivi, toute la presse écrite s’est fait l’écho de cette émission. La presse étrangère aussi d’ailleurs, européenne, italienne, etc. Donc, là, c’est un moment très important.

On passe quel message dans cette émission ?

Le message d’Eva Thomas était très clair : « quand on a été violée par son père quand on était une enfant, on en reste durablement marquée ». Et je crois que c’est cela, le principal apport de cette émission, c’est de révéler ce que les médecins du 19e siècle avaient complètement mis de côté, ce que les psychiatres du 20e siècle ont continué d’oublier ou de négliger, ou même de ne pas vouloir voir, c’est que les méfaits de l’agression sexuelle sur enfant, sont des méfaits qui se conjuguent au futur.

Dans les années 1990, les médias continuent ?

Les médias se mettent à parler massivement de pédophilie, bien que cela recouvre une réalité qui, dans les médias, est extrêmement floue, d’une grande confusion, encore aujourd’hui. Tous les jours il faut se battre pour essayer d’obtenir une précision sur ce que veut dire l’énonciateur quand il parle de pédophilie. En 1995, Mireille Dumas consacre une émission de « Bas les Masques » à la question des abus sexuels sur enfants. La nouveauté, c’est qu’elle déplace l’horaire de son émission à 20h30, donc en prime time, qui est une heure de grande écoute. Elle le fait sciemment, et elle s’en explique d’ailleurs dans « Télé 7 Jours » je crois, à moins que ce ne soit « Télérama », en disant que c’est une réalité qu’il faut prendre en compte, il qu’il faut donc en parler, et prévenir les familles, prévenir les enfants, prévenir tout le monde, pour que l’on soit capable aussi de repérer cela, et de prévenir, même si elle ne le dit pas comme ça, d’éventuels agresseurs qui grâce à la télévision, grâce à cette publicité assurée à la chose, prendraient conscience du fait qu’au fond ils sont dans l’illégalité, ce qui n’est pas toujours très clair chez les agresseurs. Tous ne sont pas parfaitement conscients que ce qu’ils font, ce n’est pas légalement possible. Mireille Dumas invite cette fois-ci, sur le plateau… d’abord il y a un certain nombre de reportages qui donnent la parole aux victimes, qui sont évidemment extrêmement émouvants, et puis elle invite sur le plateau des victimes très jeunes, et la grande nouveauté c’est la présence de garçons. Jusqu’à présent on n’avait pas tellement parlé des agressions contre les garçons, pour une raison simple, et beaucoup de raisons compliquées. La raison simple c’est que jusqu’en décembre 1980, le viol de garçons n’existe pas dans la loi, puisque le viol est défini par une pénétration d’un vagin par un pénis, donc ça ne concerne pas les garçons, et on voit bien que c’est très limitatif, il y a bien d’autres manières de violer que celle-ci. C’est modifié par la loi de décembre 1980, qui requalifie le viol, sans pour autant que les pratiques aient complètement changé quand même. Donc, prendre en compte la réalité du fait que, oui, les garçons peuvent être victimes, ils le sont d’ailleurs, statistiquement dans des proportions bien moindres que les filles, mais quand même, ils le sont. Mireille Dumas fait venir un certain nombre d’entre eux sur le plateau de « Bas les Masques », et ils racontent ce qui leur est arrivé, avec beaucoup d’émotion, parce que c’est très récent pour un certain nombre d’entre eux. Là, il y a un moment, un deuxième moment, de prise de conscience.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.