La pédophilie dans la Presse (2/4) : 1970-1985

Anne-Claude Ambroise Rendu, historienne, professeure à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et auteure de « Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles » :

Dans les années 1970, tous ceux qui sont vent-debout contre l’ordre établi, les valeurs bourgeoises, la morale, etc., disent, « Mais pourquoi ? Pourquoi interdire aux enfants d’avoir une vie sexuelle ? » Et c’est dans ce contexte que se développe un discours pro-pédophile.

Qui sont les pro-pédophiles ?

Il y a quelques représentants appartenant au monde intellectuel. Quelques écrivains donc, ce qui est tout à fait logique, ce sont des gens qui s’expriment en publiant leurs livres dans l’espace public, et pour lesquels d’ailleurs le relais est assuré par une partie de la Presse. On peut citer Gabriel Matzneff, qui publie « Les Moins de seize ans », livre dans lequel il décrit les moins de 16 ans comme étant une espèce de troisième sexe, angélique.

On peut dire ça à la télévision, à cette époque ?

On le dit, bien sûr. Matzneff a été l’un des invités préférés de Bernard Pivot, sur le plateau de son émission littéraire, « Apostrophe ». Il est toujours reçu avec un grand sourire par Pivot. On sent bien, chez Pivot, une once d’embarras, mais en même temps, ce qui peut faire un tout petit peu scandale à la télévision, c’est toujours bien pour l’audimat et dans le cadre du spectacle médiatique, et puis en même temps Matzneff est un vrai lettré, c’est un écrivain, c’est indéniable, donc il a toute légitimité à se trouver sur ce plateau. Sauf que ce qu’on attend de lui, évidemment, là, c’est de parler de ses pratiques sexuelles. Tony Duvert, lui, va plus loin que Matzneff, il est beaucoup plus provocateur, il défend beaucoup plus crûment la sexualité avec les enfants. Tous ces gens-là, il faut tout de même voir que Matzneff a une chronique dans le journal Le Monde, chronique régulière, et que ses livres, comme ceux de Duvert, sont chroniqués dans Libération, et on peut dire que c’est « Libération » qui a été en quelque sorte le porte-voix médiatique de ce courant pro-pédophile. Mais derrière Matzneff, derrière Duvert, il y a des centaines d’individus qui se réclament de la pédophilie et qui revendiquent la possibilité d’activités sexuelles avec des enfants, y compris avec des enfants de moins de 15 ans. Il y a de grands papiers, des rubriques ouvertes aux lecteurs, qui témoignent de leurs activités pédophiles en disant que « C’est très bien, c’est formidable, initier des enfants précocement comme ça, les rendre heureux, leur faire découvrir le plaisir sexuel, c’est faire des adultes qui seront extrêmement épanouis, équilibrés, c’est formidable, vous allez voir ». Donc Duvert et Matzneff ne sont pas du tout isolés. Ça ne veut pas dire que l’ensemble de la Presse suive cela, il y a toute une autre partie de la Presse, plus conservatrice, plus attachée aux valeurs traditionnelles, disons, qui, au contraire, pourfend ces pourrisseurs d’enfants que sont les pédophiles. Il y a donc un partage qui est, on le voit bien, un partage politique, sur cette question. Même « Le Monde » hésite à condamner les pédophiles, parce qu’il y a Matzneff, et puis parce que « Le Monde » voit, dans le discours pro-pédophile, un discours de défense de la liberté, et de remise en question de valeurs qui sont discutées quotidiennement.

Quels étaient les outils utilisés par ces personnes qui faisaient l’apologie de la pédophilie ?

Pierre Verdrager, sociologue, auteur de « L’enfant interdit : Comment la pédophilie est devenue scandaleuse » :

Il y avait des revues. Par exemple, « Le Petit Gredin ». C’était une revue qui a publié quelques numéros.

C’était quoi ?

C’était une revue pédophile.

Un hebdo ?

Non, c’était une publication irrégulière, qui développait des argumentaires pédophiles, qui mettait en page des photos d’enfants.

Mais, c’était vendu sous le manteau ?

C’était vendu dans des réseaux un peu secondaires, et je ne crois pas dire de bêtise en disant que « Le Petit Gredin » a été vendu en kiosque à un moment donné.

Il y avait des autorisations de publication ?

Oui, c’étaient des publications légales. Ça a été vendu aux « Mot à la Bouche » aussi, la librairie LGBT à Paris. Ça existe toujours, dans le Marais. Il y avait aussi des relais dans la grande presse. Dans « Libération », on pouvait lire tous les arguments classiques pro-pédophiles de libération sexuelle, de références aux sciences, à l’Anthropologie, à la Sociologie. C’était aussi une manière pour « Libération » de vomir les autres organes de presse, d’être pour la pédophilie, parce que les autres étaient plutôt contre. Par exemple, c’était aussi dans un combat contre « L’humanité », le journal communiste. Être contre « L’humanité », ça passait aussi par la valorisation de la pédophilie, dans la mesure où « L’humanité » était contre. Donc, être pour la pédophilie, c’était aussi une manière d’affirmer une espèce de supériorité intellectuelle, morale, politique, sur un journal ringard.

Ce n’était pas : « certains journalistes étaient pour, puis d’autres faisaient des articles dans le même journal pour montrer leur opposition » ?

Alors, ça a pu arriver. J’ai en tête… J’ai dépouillé pas mal de numéros de « Libération » là-dessus, et il pouvait y avoir des controverses, mais en général, les pédophiles étaient quand même très dominants. Les pro-pédophiles étaient très dominants, et c’était ce qu’il fallait défendre.

Radio, télé… ?

Oui, quand on regarde, il y a une émission des « Dossiers de l’écran » où la question de pédophilie ne suscitait pas un rejet aussi radical que ce qui existe maintenant.

Donc, le débat était public.

C’était un débat public. Alors, il y avait des gens qui étaient contre.

Et qui se faisaient entendre ?

Qui se faisaient entendre.

Et qui étaient entendus ?

Oui. Il y avait des scandales. Enfin, je veux dire par là que tout le monde prenait part à ces questions.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.