La pédophilie dans la Presse (1/4) : 1880-1945
Dans la presse, quand commence-t’on à parler des agressions sexuelles sur les enfants ?
Anne-Claude Ambroise Rendu, historienne, professeure à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et auteure de « Histoire de la pédophilie : XIXe-XXIe siècles » :
On commence à en parler — on peut dater assez précisément — autour des années 1880, ce qui correspond au développement d’une presse populaire commerciale, donc très accessible à un public populaire, et au développement, dans cette presse, de rubriques consacrées aux faits divers. Le fait divers étant la lecture, je ne dirais pas « récréative » parce que c’est très excessif me semble-t-il, mais une lecture « facile ». C’est au sein de ces rubriques que, progressivement, on voit apparaître des mentions « des derniers outrages », « d’un monstre odieux qui s’est jeté sur une petite fille pour assouvir sur elle », etc., donc il faut quand même avoir déjà repéré un peu ce vocabulaire pour savoir qu’il est question d’un attentat à la pudeur ou d’un viol. Mais elle en parle, et il est certain que le lecteur des années 1880, 1890, comprend très bien.
Là, il s’agit d’agressions sexuelles sur les enfants, sans qu’il y ait de meurtre. Parce qu’avant, on ne parlait que des meurtres…
La presse évoque un peu ces questions, mais uniquement les affaires qui sont poursuivies en justice. La réalité du crime sexuel sur enfant, la réalité de l’agression, on n’en sait rien, on est complètement dans le brouillard. La presse a parlé un peu des crimes sexuels sur enfants, elle en a parlé un peu dans la première moitié du 19e siècle, mais essentiellement à l’occasion d’homicide, c’est-à-dire quand l’agression sexuelle elle-même s’accompagnait – était suivie, le plus souvent – d’un meurtre. Il y a eu quelques grandes affaires, tout à fait spectaculaires, mais très ponctuelles. Évidemment, l’agression sexuelle sur enfant accompagnée d’homicide, c’est le très exceptionnel de la réalité.
Ça fait la Une des journaux ?
Ça fait la Une des journaux quelques fois. Je pense à une affaire en 1848 notamment, dans laquelle un religieux, a été incriminé. L’affaire a fait la Une des journaux pendant plusieurs semaines, mais ça tient aussi au statut de l’accusé, qui a été condamné et qui a pourtant toujours clamé son innocence.
Au tournant du siècle, ou plutôt après la Première Guerre Mondiale, la Presse cesse à peu près de parler de ce phénomène, ce qui est assez étrange et difficilement compréhensible.
Vous l’expliquez comment ?
Je ne l’explique pas vraiment, il y a des choses que l’on n’explique pas en Histoire. Je le constate. Il y a eu un ensemble de facteurs qui ont convergé, à la veille de la Grande Guerre, disons à partir des années 1880, qui a été tout le mouvement hygiéniste qui s’est intéressé de très près à l’enfance, à la protection de l’enfance, à un certain nombre de lois de protection de l’enfance qui ont été votées, dans un contexte que d’autres que moi ont qualifié de « cynisme démographique » – il ne faut pas oublier que dans les années 1880 on est quand même en plein esprit de revanche et que l’on sait bien que pour battre l’ennemi d’outre-Rhin, il faudra avoir un peuple sain et solidement campé sur ses deux jambes. Et donc, toutes les atteintes faites à l’enfance sont, à ce moment-là, traquées. Après la Première Guerre Mondiale, on ne trouve plus cela dans la Presse, on trouve une espèce de repli, d’ailleurs un peu frileux, chez certains médecins qui font remarquer qu’il y a quand même beaucoup de dénonciations frauduleuses. Il y a une théorie qui se développe autour des faux attentats. Les enfants utiliseraient la dénonciation pour faire plaisir à leurs parents parce qu’ils ont un compte à régler avec le voisin, ou pour d’autres raisons… Donc c’est plutôt la méfiance qui règne, très sensible chez les médecins, après la Première Guerre Mondiale. Elle est sans doute aussi influencée par les écrits d’Ernest Dupré, qui est l’auteur, le concepteur même, de cette notion qu’est la mythomanie infantile. Cette idée se répand qu’au fond, les enfants sont des affabulateurs.
Qu’ils mentent…
Ils ne mentent pas. La mythomanie, c’est intéressant, elle ne dit pas que les enfants mentent, elle dit que les enfants croient dur comme fer à ce qu’ils racontent, mais ce n’est pas vrai, c’est juste le produit d’une affabulation.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.