Infantilisation des femmes

Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :

Le corps de la femme a toujours été objectivé. Ça a toujours été un objet, ça continue de l’être. On fait des efforts, on essaie d’arranger les choses. Les femmes dans notre société sont enfin des sujets sur la plupart des plans. Mais sur le plan de l’image, ça continue à être problématique de par le monde, et on s’en débrouille de manière diverse. On le cache complètement ou on l’expose complètement. Et chez nous on l’expose de manière excessive à la fois du côté de la putain, et à la fois du côté de l’innocence, de l’enfant. On est toujours confronté au même problème qui est la maman et la putain. Ça a toujours été ça. C’est-à-dire celle qu’on ne peut pas soupçonner, qui est pure, qui est toute bonne, qui est une parfaite merveille désexualisée. L’image de l’enfant pur est accolée à celle de la mère. C’est la vierge. Et de l’autre côté la putain. Donc on est toujours aux prises avec cette problématique.
C’est une problématique d’un archaïsme très très profond et sur cette question-là, nous en sommes encore à l’aube de l’humanité. On pourrait dire ça comme ça.

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

Il y a un double-processus. Il y a à la fois une érotisation de l’enfant, et à la fois une pédophilisation des femmes. Tout ça pour aboutir finalement à un idéal féminin qui ne se situe pas justement du côté de la femme, mais qui se situe plutôt du côté de la préadolescente. Un exemple qui est intéressant c’est l’imagerie pornographique, qui va beaucoup mettre en évidence ces stéréotypes féminins, cette bombe sexuelle qui devient finalement bien trop jeune. Elle n’a plus de poils, elle a peu de seins, elle a peu de manifestation d’une féminité accomplie, de femme.

Elle a un visage d’enfant, des grands yeux, un grand sourire…

Et ça, ça va brouiller les pistes.

Et elle est soumise…

Voilà, elle est passive, elle est soumise, tout à fait. Et ça, ça va brouiller les pistes. C’est-à-dire qu’on se rend compte que, en tous cas cliniquement, avec les personnes qui sont passées à l’acte, quand on échange sur ces questions-là, c’est difficile pour eux de faire la distinction entre ce qui est une femme, ce qui est une adolescente, ce qui est une préadolescente, en tous cas visuellement parlant. Ils ont des difficultés à le faire.
Alors là, il y a un biais, on parle des personnes qui sont passées à l’acte. Effectivement, ce serait intéressant de se rendre compte que ce n’est pas quelque chose d’un peu général dans la population. Ce qui est certain, c’est que ce double-phénomène crée énormément d’angoisse par rapport à l’apparence de chacun en fait. Les femmes vont avoir des difficultés à vieillir, elles vont être soumises à une pression sociale par rapport à l’apparence qui est très complexe à soutenir, et ça va générer potentiellement des troubles alimentaires, des difficultés par rapport à leur apparence, des complexes de manière générale.

Parce qu’on efface ce qui doit être présent sur le corps d’une femme : les hanches, les fesses… ?

Tout à fait. Les jeunes filles vont être aussi soumises à cette pression-là. D’autant plus qu’une jeune fille, si c’est une vraie, bien, bonne jeune fille qui correspond à ce qu’on lui demande, et bien elle doit avoir une très belle apparence. De la même manière, cette pression sur l’apparence, va s’exercer sur les très jeunes filles qui sont en construction identitaire et narcissique, et ça va générer des angoisses de normalité, des angoisses par rapport au poids et donc potentiellement des troubles alimentaires, parfois de la dépression, de la honte… etc.

Gabrielle Arena, psychiatre à l’Établissement Public de Santé mentale (EPS) de Ville-Evrard, responsable du Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Île-de-France Nord-Est :

Il y a toujours danger à effacer la marque du temps, et à effacer les générations. Parce que s’il n’y a plus de génération, tout le monde peut tout faire avec tout le monde. Il faut être dans cette immédiateté, et surtout une immédiateté qui nie toute progression du temps et la fin inéluctable…

Et quel est le danger pour les enfants ?

On leur dit : « Tu vois, moi, je reste jeune, donc, toi, tu es condamné aussi à rester jeune. » C’est-à-dire : « Tu ne peux pas me dépasser, puisque je ne vieillis pas ». Vous savez, c’est quand vous voyez une manière, un petit peu affolante parfois, à l’adolescence, la mère qui se remet à mettre les mêmes petits shorts que sa fille, la même jupette que sa fille, ou le père qui se met à sortir en boîte avec les copains de son fils, etc. C’est quand même lui dire : « Tu vois, moi, je reste toujours jeune. Et si moi je reste toujours jeune, toi, tu restes toujours jeune, mais tu n’accèdes pas, non plus, à autre chose. » C’est une manière de les infantiliser à tout jamais, quoi.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.