Famille incestuelle : quels risques ?

Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’Association Stop aux Violences Sexuelles :

J’ai une patiente par exemple qui me dit « mes enfants viennent me raconter leur journée quand je suis sous la douche ». J’explique à cette patiente : « Je sais que vous n’êtes pas malveillantes par rapport à vos enfants, en revanche vous leur passez quoi comme message ? Que n’importe qui peut entrer dans la salle de bains. Donc quand vos enfants vont aller chez leurs copains, dormir par exemple, et s’ils sont eux-mêmes sous la douche et quelqu’un de mal attentionné entre, il n’y aura pas de warning qui va s’allumer donc vous ne les protégez pas non plus dans ce sens-là ».

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

La sexualité c’est pas que le coït et les rapports sexuel, c’est aussi la question de l’intimité. Et c’est d’autant plus important aujourd’hui avec les réseaux sociaux et justement toute la mise en scène de soi qu’on peut – alors ça c’est pour les plus grands, mais quoique ça commence assez jeune, maintenant vers 10, 11 ans – toute la mise en scène de soi sur internet, via les réseaux sociaux… etc. Et bien là aussi il y a tout un travail à faire sur l’intimité, ce que j’expose, ce que je n’expose pas.
Donc la question de l’intimité finalement, elle est centrale, et en premier lieu les parents doivent la respecter, pour faire en sorte que derrière, il n’y ait pas de prise de risque, sur internet notamment.

Walter Albardier, médecin psychiatre au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles Ile-de-France (CeRIAVSIF) :

C’est au sein de la famille que se construit l’intime de l’enfant. C’est au sein de la famille que l’enfant grandit et apprend à mettre des barrières entre lui et l’autre. Et c’est au sein de la famille que l’enfant doit, finalement, définir ce qui est de lui et ce qui est de l’autre. Ce qui est sûr, c’est que quand un enfant est mis face à l’intimité des autres, et que son intimité est publique, il y a quelque chose qui n’aide pas à se structurer, qui n’aide pas à différencier l’intérieur de l’extérieur, à faire des barrières entre lui et le monde. Et puis peut-être aussi, cela le fragilise, face à quelqu’un qui aurait de mauvaises intentions, pour cet enfant-là.

Tu es en train de dire que ça en fait une victime privilégiée pour un agresseur pédosexuel ?

Oui, même si c’est au sein de la famille d’abord qu’il y a la majorité des actes sexuels sur les enfants. Quand bien même ces actes n’étaient pas commis au sein de cette famille, lorsque les choses sont si peu distinguées, l’enfant devient une proie privilégiée pour quelqu’un qui voudrait profiter de cela. Et une proie et une victime plus privilégiée, par le fait que son mode de communication rentrera rapidement, beaucoup plus rapidement, en lien avec celui d’un éventuel pédophile, pour commencer.
Ensuite, tout ce qui va créer de l’indistinction des espaces, des fonctions de chacun, des générations, va compliquer l’enfant dans sa propre constitution à lui, dans sa propre structuration à lui. Je ne suis pas en train de dire qu’embrasser son enfant sur la bouche quand il a deux ans, fait de soi un pédophile et de l’enfant une future victime…

Ou un futur pédophile.
Ou un futur pédophile. Ce n’est pas comme ça que les choses sont, évidemment. Mais, apprendre à réserver, à avoir des espaces. Le journal intime d’un enfant, ça n’appartient qu’à l’enfant, sa chambre… bon, il faut avoir une exigence d’hygiène dans une chambre, il ne faut pas exagérer, il faut que le gamin nettoie sa chambre…

Le parent ne doit pas fouiller dans ses affaires.

Et autant à un certain âge, c’est normal d’apprendre l’hygiène à son enfant, autant à partir d’un moment, ce n’est plus possible. Au bout d’un moment, ce n’est pas possible qu’un enfant reste dans le lit de ses parents. On voit souvent, chez des gens atteints de pédophilie, des histoires personnelles marquées par des grandes aberrations comme cela. Des gens qui sont restés dans le lit de leurs parents très longtemps, qui ont dormi avec la mère ou avec le père, sans pour autant qu’il y ait eu des choses agies, parfois jusqu’à 15 ans. On voit des choses un peu terribles comme ça… Avec ensuite des représentations et des angoisses terribles, inconscientes souvent, autour de la sexualité, des fantasmes autour de la sexualité et du corps, de l’odeur du corps du parent avec lequel on dormait, etc., qui sont extrêmement déstructurantes pour les enfants et les adultes en devenir.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.