Est-ce qu’un enfant peut être consentant à une relation sexuelle ?

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

La majorité sexuelle est acquise à quinze ans en France. Alors, on dit qu’elle est acquise au sens où, il n’y a pas de texte d’article de loi qui précisément dise : « La majorité sexuelle est à quinze ans », mais en revanche on le déduit de l’ensemble des autres règles et de l’ensemble des définitions des autres infractions. Ça veut dire qu’au plan du législateur en tous cas, avant quinze ans, on ne consent jamais à une relation sexuelle, même si on dit : « Oui », même si on ne dit rien, de toute façon, on retiendra que l’enfant n’a pas consenti, parce qu’il n’a pas le discernement suffisant pour pouvoir consentir, c’est-à-dire pour pouvoir se rendre compte de ce qu’on lui propose. Après, dans les faits, il arrive que des enfants disent oui, il arrive que des enfants ne disent pas non en tous cas. C’est une source immense de culpabilité pour eux par la suite, quand ils auront été victimes et qu’ils se diront : « Mais finalement, je n’ai rien fait pour que ça s’arrête, j’aurais pu dire non et je n’ai pas réussi ». C’est une source immense de culpabilité. En revanche on sait qu’à cet âge-là, il est extrêmement difficile de s’opposer à un adulte ou à un plus grand, donc il est extrêmement difficile de dire : « Non », et puis comme on a confiance dans l’adulte, on va aller naturellement dans la proposition qu’il nous fait, parce que naturellement, on va se dire que cette proposition est bienveillante, que l’adulte est là pour notre bien, et on va se laisser embarquer.

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

L’enfant est un être vulnérable et dépendant. Il n’est pas autonome, donc s’il n’est pas autonome, il n’a pas de libre-arbitre. Et s’il n’a pas de libre-arbitre, il n’a pas de capacité à consentir. C’est extrêmement facile d’obtenir l’assentiment d’un enfant. Sur des niveaux archaïques, comme les animaux, des choses qui font plaisir, qui activent les circuits de récompense. La caricature et stéréotype du pervers à la sortie de l’école avec le paquet de bonbons. Une stimulation visuelle et puis avec une récompense, une petite sucrerie et puis ça suffit. J’exagère, mais bien évidement c’est facile de fasciner, d’attirer une victime vulnérable. C’est très facile d’aller abuser d’un enfant. Il n’est pas en capacité à repérer ce qui est juste, bon, nécessaire, ses besoins élémentaires, et ce qui lui fera du bien à court, moyen et long terme, et ce qui peut au contraire lui être nocif, délétère et mortifère.

Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :

Le sexuel est un pays – on va dire ça comme ça – un pays que l’enfant suppose bien qu’il existe puisque les grandes personnes font quand même des choses qu’il n’a pas le droit de partager, il se demande bien pourquoi il doit toquer à la porte des parents avant d’entrer, ou pourquoi la grande sœur va se cacher avec son petit copain… Donc, il sait qu’il se passe des choses mais il n’est pas équipé, outillé pour en comprendre le sens et donc pour pouvoir y participer. Donc il ne peut pas consentir. On ne peut pas consentir à quelque chose qu’on ne connaît pas. On ne peut dire oui qu’à quelque chose qu’on nous a expliqué et que l’on a compris. Il faut les deux. L’explication c’est facile, la compréhension c’est autre chose. Donc est-ce que nous adultes on dit oui à quelque chose qu’on ne comprend pas ? Vous allez me dire parfois oui, on signe des contrats où on dit qu’on a accepté et lu les clauses de je sais pas quoi sur internet, parce qu’on a grande hâte d’être livré du produit qu’on commande ou on trouve que les cinq, six pages du contrat d’assurance… bon. Mais on choisit de ne pas lire et on signe sans connaissance de cause mais en sachant quand même ce qu’on fait. L’enfant, quelque part, on lui demanderait de signer alors qu’il ne sait pas lire, qu’il ne sait pas de quoi ça parle : c’est de l’abus de pouvoir. C’est de l’extorsion de consentement, ce n’est pas du consentement éclairé.

Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :

L’attirance sexuelle que représente l’enfant pour le pédophile est souvent quelque chose qui permet au pédophile de légitimer son passage à l’acte. Je prends un exemple. Lorsque vous avez un enfant qui vient vers vous, l’enfant, lui, a besoin de câlin, de tendresse, il a besoin de sensualité. Quand vous récupérez, si vous avez un enfant, votre garçon de deux ans ou trois ans, à l’école maternelle et qu’il est en pleurs parce qu’il a perdu sa tétine ou son doudou, vous n’allez pas lui donner un Prozac, vous allez le prendre dans les bras, le presser contre vous. Il a besoin de ce contact, de cette réassurance. Mais ce qui est structurant pour lui, c’est justement de ne pas répondre à ce besoin de sensualité de façon érotique. C’est à nous en tant qu’adultes de marquer cette frontière. Lorsque l’enfant vient vers vous, il a parfois aussi un contact sensuel qui peut être inapproprié. Lorsque vous regardez par exemple une femme qui tient un enfant sur le bras, parfois l’enfant va mettre maladroitement, de façon incidente, sa main sur la poitrine de la mère. La mère va enlever cette main, elle ne va pas la laisser. Donc on voit que dans le contact, dans la recherche de sensualité de l’enfant, c’est à l’adulte qu’il faut parler et c’est à lui de répondre de façon cohérente à ces gestes de découverte du corps de l’autre, qui peuvent être interprétés par un pédophile comme une sorte de besoin de sensualité. C’est là qu’il ne faut pas confondre les registres. L’enfant a besoin de sensualité, de câlins et de tendresse, qu’il recherche auprès d’adultes, et c’est à l’adulte d’y répondre de façon cohérente et cadrée.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.