Abus sexuels : comment sensibiliser les enfants ?
Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :
La première chose qu’il faut apprendre à un enfant, de la même façon qu’il connaisse le mot « doigt », le mot « menton », le mot « front » ou « oreille », qu’il connaisse les mots qui désignent les organes génitaux. Ce que l’on voit nous, et ça peut paraître tout bête, ce sont des enfants qui ne connaissent pas ce vocabulaire et qui n’ont pas osé dire ce qui leur était arrivé parce qu’ils ne connaissaient que des gros mots. Donc, il faut que l’enfant puisse connaître ces mots-là, de façon à pouvoir les utiliser sans gêne ni honte.
Ève Pilyser, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique et de l’Association de Psychanalystes et Psychothérapeutes Jungiens :
Il faut que ce soit à l’occasion de quelque chose. Ne pas venir avec quelque chose à lui dire, comme ça, qui va l’effracter. Un film, un livre, un évènement médiatisé ou familial, n’importe quoi qui fasse occasion de questionnement pour lui. Soit que le questionnement soit explicite, soit que les parents voient qu’il est étonné, qu’il est intrigué, qu’on en parle, de quoi il s’agit…
Il faut pouvoir lui en parler. Donc lui dire qu’« il y a certains adultes –et il y en a peu-, qui ont des envies –parce que c’est le seul mot qu’il va comprendre-, des envies -comme quand lui il a très faim- qu’ils ne savent pas contrôler, et qui les amènent à faire des choses très méchantes envers un enfant ». « Très méchantes », c’est le terme qu’ils vont comprendre. « Très méchantes, parce qu’elles vont faire du mal à l’enfant et que l’adulte n’a pas le droit et ne devrait pas faire ça.
Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :
Il y a un problème, potentiellement, et il s’agit de se protéger de ce problème. Dire à des adultes « la pédophilie est un trouble psychiatrique », ça fonctionne. Dire à un enfant de huit ans « la pédophilie est un trouble psychiatrique », ça ne fonctionne pas. Dire « le pédophile est malade », l’enfant de sept, huit ans il a une représentation « malade c’est mamie qui a un canne ».
Si vous positionnez la personne qui souffre de pédophilie comme une victime de sa maladie, de son trouble, vous allez créer une forme de compassion. Les enfants sont gentils fondamentalement, ils vont avoir une tendance à excuser, pardonner, accepter, potentiellement même les agressions dont ils seraient victimes.
Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :
Il faut pas culpabiliser la sexualité, il faut pas qu’elle devienne dangereuse au regard de l’enfant, c’est-à-dire que la sexualité et justement la violence sexuelle, précisément sont deux choses différentes. On doit être très clair là-dessus, c’est-à-dire que la violence sexuelle n’est pas la sexualité. Et d’ailleurs, pour une personne ou pour un enfant qui en est victime de la violence sexuelle, un des gros travail thérapeutique ça va être de faire cette distinction-là : « Ce que tu as vécu n’est pas de la sexualité », précisément pour anticiper tout l’impact que ça va pouvoir avoir sur la sexualité. Donc il faut jouer sur les deux tableaux et c’est très délicat.
Odile Verschoot, psychologue clinicienne en milieu pénitentiaire, présidente de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agressions Sexuelles (ARTAAS) :
« Tu dois refuser si quelqu’un a envers toi un geste qui te met mal à l’aise ». Alors on va expliquer, selon l’âge, de manière différente. C’est quoi être mal à l’aise ? On va différencier la punition qui ne lui plait pas, entre ne pas plaire et être mal à l’aise…
La frustration ?
La frustration, l’obligation de finir son assiette par exemple ou de goûter à quelque chose qu’il ne connaît pas, qu’il peut vivre comme désagréable. Mais désagréable et mal à l’aise c’est pas la même chose. Et lui dire qu’il doit dire à la personne qui lui impose un geste qui le met mal à l’aise, qu’il ne veut pas. En précisant toujours à l’enfant « je peux être cette personne qui a un geste qui te met mal à l’aise ». Quand je dis ça, je ne mets pas comme pédophile potentiel ou avéré -encore moins- mais je pense que l’on peut tous avoir les uns envers les autres des gestes, des attitudes qui mettent mal à l’aise sans en avoir l’intention et que ça ne peut que aider l’enfant dans sa vie d’enfant, comme dans sa vie d’adulte en devenir, à se situer dans une relation adéquate envers les autres et d’être sujet des relations qu’il va entretenir avec les autres plus grands ou plus petits que lui, quels que soient les espaces de vies.
Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’Association Stop aux Violences Sexuelles :
Un enfant averti ou qui est dans un bon cadre de référence, il saura se protéger, il saura dire « stop » dans la majorité des cas. Après c’est vrai que s’il y a un adulte extrêmement violent qui contraint un enfant de trois ans, il aura du mal à faire face à cet adulte. Mais c’est un enfant qui saura quand même dire « ce qui vient de se passer n’est pas ok », et qui pourra en parler à ses parents.
Patrick Blachère, expert psychiatre, sexologue, vice-président de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexolologie (AIUS) :
Et puis il est important d’apprendre aux enfants à ne pas être des auteurs. Dans l’éducation sexuelle, on a peut-être trop tendance à faire en sorte que les enfants ne soient pas victimes. Il serait important aussi de développer le côté pédagogique, de faire en sorte qu’ils ne soient pas auteurs. C’est quelque-chose qu’il faut développer.
L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.