Abus sexuel et secret de famille : comment parler à ses enfants ?

Mathieu Lacambre, psychiatre hospitalier référent, président de la Fédération Française des Centres Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) :

Dans la transmission, les parents ont une responsabilité, pour pouvoir donner des outils d’identification, de construction de l’identité : le nom de famille, ça participe à la construction de cette identité. Et malgré vous, quand vous vous appelez untel, ce nom il a déjà probablement une histoire qui vous précède, et il est plus ou moins ancré dans un conscient et dans un inconscient collectif. Donc du coup ça contribue, ça participe à votre identité. Et l’idée que dans la famille, et dans l’histoire de la famille il y ait eu des abus, agressions sexuelles, viols et incestes, ça peut contribuer à la construction de ces représentations et de cette identité. Et donc l’idée c’est de pouvoir assurer et assumer cette transmission au bon moment si on l’estime nécessaire. Pourquoi aller encombrer un enfant de cinq ans avec cette idée-là ? Pourquoi aller encombrer une adolescente de treize ans avec cette idée-là ?

Donc c’est toujours l’idée que, au bon moment, au bon endroit, de la bonne manière, et avec un discours adapté à la capacité de celui qui le reçoit, pour quels objectifs ? Et si l’objectif c’est justement de dire « la famille c’est du bon, mais c’est aussi du compliqué », à un moment où c’est possible, bonne idée. Mais si c’est juste pour s’en débarrasser parce que c’est un fardeau « moi j’ai été violée, tu peux pas comprendre », et pour se dédouaner de quelque chose, mauvaise idée.

Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l’Association Stop aux Violences Sexuelles :

Si par exemple une mère va tout d’un coup réaliser pour elle-même ce qui s’est passé -parce que les mémoires de traumatisme peuvent revenir même des années après- et que cette femme ou cet homme -si c’est un homme qui a vécu ces violences- va être en parcours de soins et tout d’un coup ne va plus avoir envie d’être en contact par exemple avec son père ou sa mère qui a été l’auteur d’agressions sexuelles, et bien ça veut dire qu’on ne va plus aller dans les réunions de famille, qu’on ne va plus aller voir le grand-père ou la grand-mère, et il va falloir aussi poser cela auprès de ses propres enfants. Donc je dirais que quel que soit l’âge, cela peut nécessiter d’intervenir à un moment. Après, il faut que ce soit bien fait et donc encadré avec des professionnels.

Cécile Miele, psychologue et sexologue au Centre Ressources pour Intervenants auprès d’Auteurs de Violences Sexuelles (CRIAVS) Auvergne et au CHU de Clermont-Ferrand :

Les secrets de famille finissent toujours par soit réapparaitre de façon manifeste c’est-à-dire que une question va se poser, il va falloir qu’on en parle à un moment donné pour résoudre un problème… etc., soit tout simplement ils vont réapparaître sous la forme d’un symptôme, notamment chez l’enfant qui arrive dans cette famille, parce qu’il va ressentir des choses mais il ne va pas être en mesure de les penser, parce qu’on ne lui a pas donné les outils pour penser. Donc ça peut être intéressant d’en parler. Il faut se saisir de certaines occasions pour le faire, c’est-à-dire quand on sent qu’à ce moment-là le secret a un impact, et que peut-être il est temps d’en parler. Par contre, de l’exposer, alors que ça fait aussi partie de l’intimité de la personne, c’est pas forcément une bonne chose non plus.

Brigitte Allain Dupré, psychologue clinicienne, psychanalyste jungienne, membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) :

Je pense qu’on ne peut parler à l’enfant que -j’ai même envie d’utiliser un mot un peu obscène- ce qu’il peut « digérer ». Une maman peut être protectrice pour son enfant et lui dire « tu sais, je veille sur toi, parce que moi, on n’a pas veillé sur moi, et ça m’a fait mal, ça a fait des bobos à mon âme, à mon cœur, et pas forcément à mon corps mais à l’intérieur de moi », mais que ça ne soit pas trop explicite, pas trop… Je pense les enfants peuvent pas… ou alors ça leur donne des idées dont ils ne savent pas quoi faire.

L’intégralité de chacun de ces entretiens est disponible gratuitement sur notre site internet et sur notre chaîne YouTube.